Pénurie d’enseignants

Tribune

faute de bilan des réformes précédentes, l’annonce d’un déplacement du concours sera insuffisante pour attirer des candidats

Le déplacement annoncé du concours de recrutement des professeurs des écoles ne doit pas se faire au détriment d’un bilan de l’actuelle formation des enseignants, minée par les réformes incessantes, argue un groupe de trente associations du Collège des sociétés savantes académiques de France, dans une tribune au « Monde ».

tribune du 14 novembre 2023 parue dans Le Monde de l’éducation (lettre hebdomadaire)
par le Collège des Sociétés Savantes Académiques de France dont l’APMEP est membre associé

 

Depuis la rentrée scolaire, le Président de la République et le ministre de l’Éducation nationale martèlent la promesse de mettre devant chaque élève du primaire, un enseignant ou une enseignante. Comment en recruter suffisamment alors que les vocations se font de plus en plus rares ? Et comment les former ?

S’il faut bien sûr améliorer les conditions d’exercice du métier, il est aussi indispensable de s’intéresser à la façon d’accéder au métier. C’est une voie que semble avoir choisie le gouvernement : pour pallier les difficultés de recrutement, il envisage de déplacer le concours de Bac+5 à Bac +3, et pour assurer la formation, de créer de « nouvelles Écoles Normales du XXIe siècle ». Ces mesures témoignent d’un fort volontarisme politique mais dans les faits, quelle serait leur utilité ?

 

Les récentes annonces donnent l’impression d’un retour en arrière

Depuis 2010, les réformes de la formation des enseignants se succèdent à un rythme effréné, toutes modifiant la place du concours et la structure chargée de la formation, sans que soit pris le temps d’évaluer leurs effets, voire sans leur permettre d’avoir un quelconque effet. Les récentes annonces donnent l’impression d’un retour en arrière : le concours était au niveau Bac +3 avant 2009, et la formation était assurée au sein des Écoles Normales jusqu’en 1990.

Pour éviter une accumulation inconsidérée de dispositifs, il faut dépasser les effets d’annonce et adopter une méthode qui s’appuie sur l’expérience acquise. À défaut, l’école continuera à s’enfoncer dans la crise et le nombre de candidats au métier de professeur des écoles à s’effondrer. Prenons donc le temps de réfléchir à l’articulation entre le recrutement et la formation des enseignants, pour en saisir une vue globale.

 

Allonger la formation initiale

Un enjeu central de la formation initiale des professeurs des écoles, que nous avons récemment détaillé, est la recherche d’un équilibre entre les multiples éléments qu’elle doit apporter aux futurs enseignants. Ceux-ci doivent impérativement maîtriser les bases de toutes les disciplines à enseigner. Ils ont également besoin d’acquérir des connaissances en didactique et pédagogie et d’effectuer des stages dans les classes. Enfin, ils doivent apprendre à analyser leurs pratiques pour pouvoir progresser et s’adapter à l’inévitable évolution des connaissances et des publics.

La qualité de cette formation initiale est d’autant plus importante que la formation continue est aujourd’hui indigente, n’offrant que de maigres possibilités pour continuer à se former après leur recrutement.

Actuellement, la formation initiale est concentrée sur les deux années que dure le master. Or, étudiantes et étudiants abordent ces masters avec des bagages disciplinaires et une sensibilisation à l’éducation très hétérogènes. Le temps manque pour développer tous les éléments de la formation, les disciplines entrent en concurrence les unes avec les autres, et des lacunes inquiétantes persistent à l’entrée dans le métier.

Commencer la formation en licence, comme le font certains pays européens, permettrait de repenser et bâtir une formation disciplinaire et professionnelle cohérente et progressive.

 

Maintenir la formation initiale dans les universités

Si la formation commence en licence, quelle structure doit en avoir la charge ? Rappelons qu’un master est requis pour la titularisation et que la formation doit être nourrie par une initiation à la recherche. En effet, la capacité à mettre en œuvre une démarche de recherche face aux questions qu’ils rencontrent permet aux enseignantes et aux enseignants de progresser dans leur pratique, de faire le tri entre ce qui relève des savoirs établis et des croyances, de donner le meilleur à leurs élèves tout au long de leurs 40 ans de carrière.

Une forte implication du monde académique étant fondamentale, la formation initiale doit se faire dans les universités.

 

Bien choisir la place et le contenu du concours

Se pose enfin la question de la place et du contenu du concours, qu’on ne peut choisir sans avoir anticipé leur articulation avec la formation. En effet, l’année du concours, sa préparation capte inévitablement l’investissement des étudiantes et des étudiants. Son contenu doit donc être en cohérence avec les attendus de la formation pendant la période de préparation. Il est par exemple impossible de préparer un concours très académique tout en réfléchissant sereinement à ses pratiques en classe, comme en témoigne l’amère expérience de la dernière réforme.

En aval, la réussite au concours peut ouvrir la voie à un flux de lauréats n’ayant pas suivi un parcours standard. La formation devra s’adapter au mieux à cette population hétérogène, pour l’accompagner jusqu’à la titularisation.

 

Organiser une réflexion collégiale

De nombreuses questions se posent donc qui attendent des réponses techniques et politiques. Entre autres : quelles seraient la place et la nature des épreuves du concours et à quel public s’adresse-t-il ? Quelle rémunération et quel statut après le concours si on positionne celui-ci en fin de licence ? Quelle formation après le concours pour obtenir un master, et quel master ? Quelle articulation entre formation à l’université et sur le terrain ? Comment bien intégrer dans le dispositif les nombreuses personnes en reconversion professionnelle ? Quels formateurs et quelle formation pour les formateurs ?

Faute de bilan des réformes précédentes et de réponses précises à ces questions, l’annonce d’un déplacement du concours et d’une nouvelle réforme de la formation sera insuffisante pour attirer des candidats de bon niveau et en nombre suffisant. Cette annonce ne rendra pas non plus de sens au travail des équipes de formateurs et d’enseignants qui, dans les universités et en particulier dans les INSPÉ, s’épuisent à s’adapter aux réformes trop fréquentes et insuffisamment réfléchies.

Pour sortir de la crise actuelle, nous attendons du ministère l’organisation d’une réflexion collégiale sur le long terme, afin qu’un dialogue serein s’établisse entre tous les acteurs concernés, permettant de travailler en synergie à l’élaboration d’un dispositif stable et suffisamment bien pensé pour redonner une attractivité au métier d’enseignant.

 

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