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Pour un enseignement de l’informatique dans le secondaire Interventions de Jean-Pierre Archambault et Gilles Dowek au séminaire de l’APMEP.

Lors du séminaire des 16-17 mai 2009, Jean-Pierre Archambault, président de l’EPI
(Enseignement Public et Informatique), et Gilles Dowek, professeur d’informatique à
l’École Polytechnique, sont intervenus pour parler de l’introduction possible d’un
enseignement d’informatique au lycée.

Nous reproduisons ci-dessous leurs deux
interventions : Jean-Pierre Archambault nous a transmis le texte de son exposé, et
Catherine Combelles a rédigé un compte rendu de l’intervention de Gilles Dowek.

L’APMEP va se saisir à nouveau de ce débat qui soulève de nombreuses questions sur
l’enseignement des mathématiques.

I. Intervention de Jean-Pierre Archambault .

Enseigner l’informatique en tant que telle sous la forme d’une discipline scolaire, ou
pas : un débat vif et ancien qui, depuis les années soixante-dix, accompagne le
développement de l’informatique pédagogique [1]). Il se déroule aujourd’hui dans le
contexte de la réforme du lycée qui transforme le paysage éducatif. Pour leur part,
l’EPI (association Enseignement Public et Informatique) et l’ASTI (Fédération des
Associations Françaises des Sciences et Technologies de l’Information) mènent des
actions pour que l’informatique, science et technique, figure dans les programmes
scolaires, avec des notions explicitement « nommées » dans des cursus cohérents et
progressifs [2]. L’enjeu majeur est de former des créateurs et des utilisateurs
« intelligents », et non pas des utilisateurs « presse-boutons », dont la société du 21°
siècle a un impérieux besoin.

Consensus et divergences

Au fil des années, un consensus s’est progressivement dégagé sur l’idée que
l’informatique était désormais une composante de la culture générale de l’ « honnête
homme » de notre époque et, à ce titre, un élément de la culture générale scolaire. Les
faits sont têtus ! Les discours selon lesquels l’informatique n’était qu’une mode qui
passerait comme passent les modes ont pris un sacré coup de vieux. Pourtant on les
entendait encore à la fin du siècle dernier…

Gérard Berry a intitulé sa leçon inaugurale au Collège de France « Pourquoi et
comment le monde devient numérique » [3]. Dans une interview au journal Le Monde,
le 15 avril 2009, il déclare : « Du point de vue de l’enseignement de l’informatique,
la France rentre résolument dans le XX° siècle » [4] Il regrette que l’« on confonde la
notion de computer literacy avec celle de computer sciences ». Et il ajoute : « Dans
les établissements scolaires, on a fait le choix d’enseigner les usages. C’est très
insuffisant. C’est la différence entre apprendre à conduire et comprendre comment
marche une voiture. Les jeunes quittent le lycée sans connaissance de la science
informatique. C’est une aberration ! ».

Car si consensus il y a sur l’objectif, des divergences fortes subsistent encore sur
le contenu même de la culture informatique et les modalités pour la donner
véritablement à tous les élèves. Discipline ou pas ? Deux lignes pédagogiques
« dialoguent ». Pour l’une, les apprentissages doivent se faire à travers les usages de
l’outil informatique dans les différentes disciplines existantes. Pour l’autre,
l’informatique étant partout, elle doit être quelque part en particulier, à un moment
donné, sous la forme d’une discipline scolaire en tant que telle. Pour les uns,
l’utilisation des TIC suffit. Pour les autres, l’utilisation d’un outil, matériel ou
conceptuel, ne suffit pas pour le maîtriser.

La culture scolaire évolue. Si les sciences physiques (électricité, mécanique, …)
sont devenues une discipline scolaire c’est parce qu’elles sous-tendaient les
réalisations et activités de la société industrielle. Or le monde devient numérique.

Des statuts éducatifs divers

Se prononcer pour l’enseignement de l’Informatique et des TIC ne signifie
aucunement l’évacuer des autres disciplines [5] : une précaution sous forme d’une
précision qui relève de l’évidence mais qu’il faut prendre tant il peut arriver que les
débats sur l’informatique soient empreints d’une certaine confusion concernant ses
statuts éducatifs. Outil pédagogique, l’ordinateur enrichit la panoplie des outils de
l’enseignant. Il se prête à la création de situations de communication « réelles » ayant
du sens, notamment pour des élèves en difficulté. Il constitue un outil pour la
motivation. Il favorise l’activité, l’initiative, la créativité, … L’informatique
s’immisce dans des objets, des méthodes et des outils des savoirs constitués,
transformant leur « essence », et leur enseignement doit en tenir compte. C’est
particulièrement vrai pour les enseignements techniques et professionnels. Et pour les
mathématiques, notamment de par l’impact des outils de calcul (dans le cadre de la
pérenne et intrinsèque dialectique démonstration/calcul). Mais, peu ou prou, toutes les
disciplines sont concernées. L’ordinateur est également outil de travail personnel et
collectif des enseignants, des élèves et de la communauté éducative, notamment dans
le cadre des ENT [6]. Il existe une complémentarité entre l’outil pour enseigner et
l’objet d’enseignement qui se renforcent mutuellement.

L’heure d’un bilan

Le choix a été fait lors des quinze dernières années d’une formation par
l’utilisation de l’outil. Il s’est traduit depuis 2001 par la mise en place du B2i. La
question se pose de savoir si c’était le bon choix. La durée de la période autorise à y
répondre. En regardant à l’extérieur du système éducatif relativement à ses grandes
missions, former l’homme, le travailleur et le citoyen. Et en se référant aux solutions
pédagogiques retenues.

L’informatique est partout

Les enjeux et les défis sont immenses car l’informatique est partout, dans la vie
de tous les jours, au domicile de chacun, avec l’ordinateur personnel et l’accès à
Internet, dans l’entreprise où des systèmes de contrôle informatisés font fonctionner
les processus industriels. Ses métiers, et ceux des télécommunications, occupent une
place importante dans les services. On ne compte plus les objets matériels qui sont
remplis de puces électroniques. C’est l’informatique, pour ne prendre que ces
exemples, qui a récemment fait faire de très spectaculaires progrès à l’imagerie
médicale et qui permet ceux de la génétique. L’informatique modifie progressivement,
et de manière irréversible, notre manière de poser et de résoudre les questions dans
quasiment toutes les sciences expérimentales ou théoriques qui ne peuvent se
concevoir aujourd’hui sans ordinateurs et réseaux. Juristes, architectes, écrivains,
musiciens, stylistes, photographes, médecins, pour ne citer qu’eux, sont tout aussi
concernés…

Une pénurie d’informaticiens qualifiés

Mais, il y a en France, comme dans l’ensemble des pays développés, une pénurie
d’informaticiens qualifiés, plus généralement un déficit dans les métiers des TIC. Le
Syntec Informatique souligne le manque d’attractivité des métiers de l’informatique
chez les jeunes. Gilles Dowek, professeur d’informatique à l’École Polytechnique, fait
le constat du niveau non optimal en informatique des ingénieurs généralistes en
France, et de « nos étudiants, comparés à leurs camarades indiens et chinois, bien
entendu, mais aussi européens » [7]. Dans leur rapport sur l’économie de l’immatériel,
Maurice Lévy et Jean-Pierre Jouyet attirent l’attention sur le fait que, dans cette
économie, « l’incapacité à maîtriser les TIC constituera (...) une nouvelle forme
d’illettrisme, aussi dommageable que le fait de ne pas savoir lire et écrire ». Ils
mettent en évidence les obstacles qui freinent l’adaptation de notre pays à l’économie
de l’immatériel, notamment « notre manière de penser », invitant à changer un certain nombre de « nos réflexes collectifs fondés sur une économie essentiellement
industrielle ».

Plus généralement, en octobre 2008, lors du Forum des femmes pour l’économie
et la société, Mme Viviane Reding, membre de la Commission européenne
responsable des télécommunications, soulignait la pénurie de main-d’œuvre qui
menace le secteur européen des TIC dans lequel, faute de personnel qualifié, ce sont
300 000 emplois qui risquent de rester vacants en 2010 [8]. Elle a exprimé le souhait
légitime qu’un plus grand nombre de femmes se forment aux TIC.

On ne peut s’empêcher de mettre en relation cette situation avec le fait que les
élèves ne rencontrent pas l’informatique, science et technique, en tant que discipline.

Car l’on sait que l’adolescence est un moment privilégié où naissent les vocations.
Et l’on se dirige plus facilement vers ce que l’on connaît.

Et le citoyen ?

2009 a vu le vote de la loi Création et Internet dite loi Hadopi. En 2006, la
transposition de la directive européenne sur les Droits d’auteur et les droits voisins
dans la société de l’information (DADVSI) par le Parlement avait été l’occasion de
débats complexes où exercice de la citoyenneté rimait avec technicité et culture
scientifique. En effet, s’il fut abondamment question de copie privée, de propriété
intellectuelle, de modèles économiques, …, ce fut sur fond d’interopérabilité, de
DRM, de code source, de logiciels en tant que tels. Dans un cas comme dans l’autre
on n’a pu que constater un sérieux déficit global de culture du numérique largement
partagé. La question se pose bien de savoir quelles sont les représentations mentales
opérationnelles, les connaissances scientifiques et techniques qui permettent à tout un
chacun d’exercer pleinement sa citoyenneté. Sans risque de se tromper on peut
affirmer que « cliquer sur une souris » et utiliser les fonctions simples d’un logiciel
ne suffisent pas à les acquérir, loin de là.

Des pratiques insuffisantes en elles-mêmes

L’informatique irrigue la vie quotidienne de tout un chacun. On entend souvent
dire que les nouvelles générations, qui baignent dans Internet depuis leur plus jeune
Âge, n’auraient pas besoin d’une formation spécifique de nature scientifique et
technique. Leurs utilisations d’Internet, dans et hors l’école, suffiraient. Qu’en est-il
exactement ?

Dans le cadre de sa thèse de doctorat, Cédric Fluckiger a réalisé une étude dans un
collège de la région parisienne. Lucas, élève de troisième, pense qu’il est nécessaire
d’avoir plusieurs abonnements à Internet pour accéder à toutes les pages, car les
moteurs de recherche proposés sur les différents portails n’indiquent pas la même liste
de sites : « Wanadoo, ils ont pas les mêmes pages. Si je cherche quelque chose, j’aurai
pas les mêmes choses dans Wanadoo et dans quelque part d’autre (...) Ca change tout,
c’est pour ça qu’on en a pris trois différents. » Cet exemple d’utilisation
approximative, qui n’est pas unique loin s’en faut, traduit manifestement une
représentation mentale erronée de l’environnement numérique dans lequel le collégien évolue. Des pratiques spontanées et sans recul ne suffisent pas à devenir un utilisateur
averti. Une bonne appropriation de notions scientifiques fondamentales est
indispensable car elle conditionne une utilisation rationnelle de l’outil conceptuel
qu’est l’ordinateur et la résolution des problèmes rencontrés au fil du temps présent
et à venir dans la société et l’économie numériques. Il faut relativiser fortement les
compétences acquises hors de l’École, qui restent limitées aux usages quotidiens.
Elles sont difficilement transférables dans un contexte scolaire plus exigeant. Les
pratiques ne donnent lieu qu’à une très faible verbalisation. Les usages reposent sur
des savoir-faire limités, peu explicitables et laissant peu de place à une
conceptualisation. Il ne faut pas confondre « consommation » et « création »
d’informatique, utilisation « intelligente » des outils [9].

Le B2i

Le B2i, qui concrétise l’orientation retenue par le MEN, a vu le jour en 2001. Il
se veut évaluation de compétences. Il est assez difficile d’avoir des chiffres sur le
nombre d’élèves réellement concernés. De plus, les pourcentages que l’on peut trouver
ici et là sont très variables, d’une manière globale et selon les académies. De l’avis
général, les résultats observés sont plus que modestes. On pourra se référer aux
chiffres donnés en décembre 2006 par le Baromètre Délégation aux Usages Internet.
Médiamétrie [10]. Le B2i a été rendu obligatoire pour la session 2008 du brevet. Il y
aura beaucoup à dire sur la tournure prise par les événements. On vient d’assister à
des attributions massives et systématiques afin que les élèves ne soient pas recalés à
l’examen. Le B2i s’est révélé être une machine administrative, donnant lieu à des
« courses à la croix » sans réalités ni finalités pédagogiques.

Un résultat prévisible

Cela doit-il étonner ? Pas vraiment. En effet, le B2i suppose implicitement un
apport de connaissances mais ne dit pas où les trouver, dans quelles disciplines. Il
n’est donc déjà pas évident d’organiser des apprentissages progressifs sur la durée
lorsque les compétences recherchées sont formulées de manière très générale (du type
« maîtriser les fonctions de base » ou « effectuer une recherche simple »),
éventuellement répétitives à l’identique d’un cycle à l’autre, et que les contenus
scientifiques, savoirs et savoir-faire précis permettant de les acquérir, ne sont pas
explicités. Mais, quand, en plus, cela doit se faire par des contributions multiples et
partielles des disciplines, à partir de leurs points de vue, sans le fil conducteur de la
cohérence didactique des outils et notions informatiques, par des enseignants insuffisamment formés, on imagine aisément le caractère ardu de la tâche au plan de
l’organisation concrète. Ainsi, un rapport de l’IGEN souligne-t-il que, « si différentes
circulaires précisent les compétences qui doivent être validées et le support de
l’évaluation (feuille de position), elles laissent néanmoins dans l’ombre de
l’autonomie les modalités concrètes de mise en oeuvre » [11]. Pour se faire une idée de
ces difficultés, il suffit d’imaginer l’apprentissage du passé composé et du subjonctif
qui serait confié à d’autres disciplines que le Français, au gré de leurs besoins propres
(de leur « bon vouloir »), pour la raison que l’enseignement s’y fait en français. Idem
pour les mathématiques, outil pour les autres disciplines, avec les entiers relatifs au
gré de l’étude de la chronologie en histoire et les coordonnées de celle de la latitude et
la longitude en géographie !

L’action de l’EPI et du groupe ITIC de l’ASTI

Tous ces constats amènent à penser que les réponses apportées par le système
éducatif en matière de culture générale informatique ne sont pas à la hauteur des enjeux
et des exigences de la société de l’immatériel, aux plans de la formation de
« l’homme, du travailleur et du citoyen ». D’où les actions sur la longue durée de
l’EPI et du groupe ITIC de l’ASTI.

Dans la période récente [12], l’EPI a été reçue à l’Élysée, le 25 septembre 2007, par
Jean-Baptiste de Froment, conseiller technique de Nicolas Sarkozy pour
l’éducation [13]. L’EPI avait interrogé les candidats à l’élection présidentielle sur
l’opportunité d’un enseignement spécifique de l’informatique, complémentaire de
l’approche par les différentes disciplines et activités. Nicolas Sarkozy avait répondu
qu’il « considère que l’enseignement informatique prévu au socle commun des
connaissances et des compétences doit être renforcé, et inclure notamment
l’enseignement des bases essentielles à l’écriture de programmes informatiques ». Il
proposait alors une « refonte des programmes éducatifs consacrés à l’informatique,
trop centrés sur la pratique, et le renforcement des moyens consacrés à ces formations
informatiques ». Pour Nicolas Sarkozy, « en se concentrant sur la pratique, on crée
une génération dépendante de la technique ; en se concentrant sur la technique, on crée
une génération autonome et capable d’inventer toutes sortes d’usages ». L’EPI a
souligné qu’elle se reconnaissait dans de pareils propos.

Lors d’une audience au cabinet de Xavier Darcos, Mark Sherringham a indiqué que,
pour lui, l’approche de l’EPI revêtait un réel intérêt et qu’ « elle avait du sens » [14] Il a demandé un document explicitant les grandes lignes d’un programme pour le
lycée, qui lui a été transmis en mars 2008 [15].

L’EPI et le groupe ITIC de l’ASTI ont été reçus, le 30 avril 2008, par François
Jacq, conseiller à l’industrie auprès du Premier Ministre. L’accent a notamment été
mis sur la pénurie d’informaticiens qualifiés et un niveau non optimal en
informatique des ingénieurs en général [16]

Le 24 septembre 2008, l’EPI et le groupe ITIC de l’ASTI (Jean-Pierre
Archambault et Gilles Dowek) ont été reçus par le Recteur Jean-Paul de Gaudemar,
qui pilotait la mission sur la réforme du lycée, et Érick Roser, IGEN de
mathématiques. L’objet de la rencontre portait sur l’opportunité de créer un
enseignement de l’informatique au lycée, une discipline de culture générale
scientifique et technique ayant pour finalité de préparer les élèves à la société
numérique. Jean-Paul de Gaudemar a demandé de lui faire des propositions sur ce que
pourraient être un module de présentation de la discipline en seconde (semestriel de 54
heures) et des modules en première et terminale, ceux-ci étant soit thématiques soit
d’« initiation et d’approfondissement ». En seconde, l’objectif étant, dans une
démarche exploratoire, de faire découvrir aux élèves ce qu’est l’informatique, de leur
donner à voir les bases (programmation, algorithmes, traitement des données) en
s’appuyant sur leurs pratiques [17]
.
Le Ministre de l’Éducation nationale, Xavier Darcos, ayant annoncé le 21 octobre
dernier que, parmi les disciplines nouvelles introduites dans le cadre de la réforme du
lycée (qui serait reportée en décembre), figurerait « Informatique et société
numérique », indiquant qu’un module serait proposé en classe de seconde à la rentrée
2009. Un groupe d’experts ministériel a notamment auditionné Gérard Berry,
professeur au Collège de France et membre de l’Académie des Sciences, Maurice
Nivat, membre correspondant de l’Académie des Sciences, Gilles Dowek, professeur
d’informatique à l’École Polytechnique, Monique Grandbastien, professeur
d’informatique à l’Université Nancy I. L’EPI a également été reçue [18]. Le dialogue,
riche et constructif, avait mis en évidence un consensus sur les contenus scientifiques
et techniques à enseigner.

Le 28 avril 2009, l’EPI et le groupe ITIC de l’ASTI ont rencontré Fabrice
Mattatia, conseiller technique auprès de Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’État
chargée de la Prospective et du développement de l’Économie numérique [19]
L’occasion de souligner qu’au plan mondial l’informatique représente plus de 30% de
la R&D. Ce qui signifie que dans la « vraie vie » elle est une des composantes
majeures de la science contemporaine. Pour l’EPI et le groupe ITIC de l’ASTI, il ne
peut qu’en aller de même au lycée, l’informatique devant y être une composante de la
culture scientifique scolaire des élèves, quel que soit leur parcours (séries générales,
technologiques et professionnelles).

Le 2 juin 2009, lors d’une rencontre à la Direction Générale de l’Enseignement
Scolaire du Ministère de l’Éducation Nationale avec Élisabeth Monlibert, Sous-directrice
des écoles, des collèges et des lycées généraux et technologiques, et
Véronique Fouquat, Chef du bureau des programmes d’enseignement, l’EPI et le
groupe ITIC de l’ASTI ont rappelé les projets « Un module informatique et société
numérique en classe de seconde » et « Proposition de programme Seconde Première
Terminale » que le groupe ITIC de l’ASTI a élaborés. La rencontre a donné lieu à des
échanges riches et approfondis portant à la fois sur les questions de fond qui sont
posées et les réponses éducatives concrètes à leur apporter, notamment : quels
contenus scientifiques pour un enseignement de l’informatique en classe de seconde,
dans l’ensemble des séries générales, technologiques et professionnelles, sous la
forme d’une discipline dans les séries scientifiques, en particulier en S ? Quelles
modalités de formation des professeurs appelés à assurer de tels enseignements ? Mise
en place d’expérimentations en classe de seconde à la rentrée 2009. Un beau chantier
pour la prochaine année scolaire [20]

Les préconisations de Richard Descoings

Le 2 juin 2009, Richard Descoings a remis au Président de la République ses
préconisations sur la réforme du lycée [21]. L’EPI en a pris connaissance avec
intérêt [22].
Dans son rapport, Richard Descoings pointe « une orientation subie,
conséquence d’une information insuffisante et orientée, les lycéens choisissant une
voie plus par défaut plus que par goût aux contenus et aux débouchés
professionnels ». Il propose de « faire de la Seconde une vraie classe de
détermination. » Le lycée est effectivement l’espace et le moment où les élèves
construisent leur autonomie intellectuelle, leur accession à la citoyenneté et où
naissent les vocations. Un enseignement de l’informatique ne peut que favoriser les
indispensables vocations dont la société a un besoin urgent. Richard Descoings
souligne « l’excessive généralité de la série S qui porte atteinte aux besoins d’élèves
puis d’étudiants dotés d’une véritable maîtrise scientifique ». « généralité » mais
aussi, dans les programmes actuels singulière absence. L’omniprésence de
l’informatique dans les autres sciences, sa place dans l’entreprise et la société, les
dialogues que, par exemple, les ingénieurs d’un secteur industriel (aéronautique,
chimie, …) doivent avoir avec les spécialistes informatiques … font que de nos jours
une véritable maîtrise scientifique implique celle de l’informatique. Au 21e siècle,
dans la société numérique, une section scientifique au lycée doit faire toute sa place à
une discipline informatique. Quant aux filières technologiques qui ont vocation à
former des cadres compétents, elles doivent voir leurs enseignements informatiques
renforcés. Et les élèves de la série L, dont il est nécessaire de développer la culture
scientifique, doivent se voir proposer une option comprenant de l’informatique.
On ne peut par ailleurs que se féliciter de la volonté de conforter la place des
nouvelles technologies par l’utilisation des TICE, de la promotion de la pédagogie de
projet à laquelle l’informatique se prête particulièrement bien, de la prise de
conscience de l’insuffisance des moyens consacrés à la maintenance informatique et
du rappel d’une indispensable formation des enseignants.

Le nouveau programme de mathématiques en classe seconde [23]

La démarche algorithmique est, depuis les origines, une composante essentielle de
l’activité mathématique ». À ce titre, elle figurera dans les objectifs pour le lycée. Il
s’agira de « familiariser les élèves avec les grands principes d’organisation d’un
algorithme : gestion des entrées-sorties, affectation d’une valeur et mise en forme ».
Les élèves devront s’approprier les notions suivantes : « instructions élémentaires
(affectation, calcul, entrée, sortie), boucle et itération, instruction conditionnelle ».
« L’algorithmique ayant une place naturelle dans tous les champs des mathématiques,
les problèmes posés devront être en relation avec les autres parties du programme ».

Pour l’EPI, la mise en œuvre des nouveaux programmes de mathématiques ne
peut que bénéficier d’un enseignement spécifique de l’informatique. Réciproquement,
concernant le raisonnement logique, les nouveaux programmes de mathématiques
indiquent que « les élèves sont entraînés, sur des exemples, à utiliser correctement les
connecteurs logiques « et », « ou » et à distinguer leur sens des sens courants de
« et », « ou » dans le langage usuel ». De quoi faciliter les requêtes avec les moteurs
de recherche !
Une nécessité qui demeure

Cette composante algorithmique du nouveau programme de mathématiques, si elle
participe, du point de vue des mathématiques, à l’objectif d’une culture scientifique
informatique pour tous – et donc contribue à sa légitimation – ne se substitue pas à
l’exigence issue des besoins de la société au 21e siècle d’une discipline informatique
en tant que telle au lycée, passage obligé pour former des créateurs et des utilisateurs
« intelligents », et non pas des utilisateurs « presse-bouton ».

En effet, si la notion d’algorithme est bien une notion présente dans les
mathématiques depuis toujours (Euclide, Gauss, …), il y a aussi les algorithmes qui
n’opèrent pas sur des données mathématiques (algorithmes de routage, par exemple).
Si l’algorithmique est partie intégrante de l’informatique, l’informatique c’est aussi la
programmation et les langages, la théorie de l’information, les machines et leurs
architectures, les réseaux, Internet, les bases de données, …, qu’il faut étudier pour
eux-mêmes afin de les maîtriser. La nécessité d’une discipline informatique au lycée
demeure, avec des notions scientifiques et techniques explicitement « nommées » dans
des cursus cohérents et progressifs… Une ardente obligation.

II. Intervention de Gilles Dowek

.

Gilles Dowek, mathématicien, logicien et informaticien, est directeur de recherche à
l’INRIA et professeur à l’École Polytechnique. Il décrit d’abord la situation peu
brillante de l’enseignement de l’informatique à l’École Polytechnique : il classe les
étudiants qui y entrent en deux catégories, « les débutants » et les « initiés ». La
moitié d’entre eux ne sait pas écrire un algorithme trouvant le maximum dans un
tableau. C’est pourtant eux qui écriront les programmes qui piloteront les avions, ou
les trains du futur ! Et quand ils sortent de l’École, ce n’est pas beaucoup mieux !
Ceux qui se sont spécialisés en informatique, après deux ans d’enseignement intensif,
ont une bonne formation. Mais les autres peuvent ne pas avoir eu plus de 35 heures
de cours d’informatique, et ils partent travailler comme ingénieurs avec ce niveau là !
Et c’est la même chose dans toutes les écoles d’ingénieurs ! On voit les effets de ce
manque de formation sur les entreprises. Un ingénieur sur trois fabrique des logiciels
au niveau mondial, mais l’Europe est à la traîne, et en Europe, ce n’est qu’un
ingénieur sur quatre. On n’y enseigne pas assez d’informatique, la recherche est en
retard, et toute la société manque de culture sur cette question.

Car l’informatique intervient aujourd’hui dans tous les domaines.

Par exemple, parlons Justice. La signature électronique qui fait appel à des techniques
de cryptographie, a une grande importance, car elle permet d’authentifier un document.
Faute de connaissances suffisantes, le jugement de la Cour de Cassation sur ce sujet
est tout à fait incompréhensible. L’inculture des milieux judiciaires est
impressionnante : lors de l’informatisation des tribunaux, certains pensaient qu’un
dossier de quelques centaines de pages était trop volumineux pour être numérisé, et la
loi HADOPI n’a aucun sens faute d’une culture informatique minimale des politiques
qui l’ont rédigée. On vit dans un monde où personne ne comprend rien.

Parlons économie : une notion fondamentale dans ce domaine est la notion de
propriété. Traditionnellement, elle est fondée sur la notion de rivalité, mais elle est
en train de se transformer : on ne peut pas être deux à boire le même café, mais on
peut être deux à écouter la même émission de radio. Une émission de radio est un bien
non-rival. Cette question est devenue centrale. Les professeurs d’économie doivent
creuser cette notion.

Parlons philosophie : nombre de philosophes répètent que « l’homme est une
machine ». Mais aujourd’hui, qu’est-ce qu’une machine ? La notion de machine a
beaucoup changé depuis le 19e siècle : plus de vapeur, la question d’énergie est
devenue secondaire ; c’est la notion d’information qui importe dans les machines
d’aujourd’hui.

Parlons mathématiques. L’ordinateur y apparaît d’abord comme un outil. L’impact de
l’informatique sur les capacités de calcul a déjà été pris en compte. Par exemple,
lorsque vous introduisez les notions de moyenne et d’écart-type, vous commencez par
donner un exemple avec trois nombres. Puis, la machine permet un changement
qualitatif : vous pouvez calculer des moyennes et des écarts-types sur de vraies données. C’est la partie émergée de l’iceberg. La machine permet de gérer les grands
nombres ou les grandes quantités.

Parlons théorèmes : il existe des énoncés de toute taille qui ont des démonstrations
de toute taille. Même pour des petits énoncés comme pour le théorème de Fermat, il
faut parfois de grosses démonstrations. Le théorème de classification des groupes finis
simples est la plus grosse démonstration existante écrite à la main. Mais il y a aussi
des théorèmes qui sont trop gros pour être écrits à la main : le théorème des 4
couleurs, par exemple. Il faudrait 500 millions de pages pour écrire cette
démonstration à la main. Tout le monde a accepté la démonstration réalisée avec
l’ordinateur. Il y a eu d’autres théorèmes de ce type, et il apparaît à leur sujet la
nécessité de démontrer que la preuve informatique est correcte. Peu d’astronomes vous
diront qu’on peut se passer d’outils. Les mathématiques n’ont découvert leur lunette
qu’au 20e siècle, et c’est un outil beaucoup plus complexe que la lunette.

Le deuxième aspect de ce lien maths-info est l’algorithmique. Il y a eu de tous temps
des algorithmes en mathématiques. Cela change la nature des mathématiques : par
exemple, le calcul d’aire est devenu un algorithme avec le calcul différentiel. De même
pour le calcul des probabilités. En Mésopotamie et en Égypte, les mathématiques
étaient algorithmiques, parce qu’elles avaient une finalité pratique, ce qui a disparu
avec les grecs. Mais en abandonnant cette finalité pratique, les grecs ont abandonné
aussi les méthodes.

Autre question : les mathématiques pour l’informatique. Tout le monde comprend ce
que veut dire « les mathématiques pour la physique » : c’est la physique qui a donné
au calcul différentiel son rôle central. De la même façon, il y a des problèmes qui
existent parce que l’informatique existe. Ce ne sont pas des problèmes d’informatique,
ce sont des problèmes de mathématiques qui sont utiles à l’informatique.

Le mot d’informatique, comme le mot de chimie a une polyvalence : il désigne à la
fois une science, une technique, au sens où il y a des méthodes de fabrication (savoir
écrire un programme, c’est une connaissance technique), et une industrie. Mais c’est
une science à part entière, avec des connaissances, avec des résultats et des preuves et
qui inclut une partie empirique. Il y a aussi des problèmes d’informatique :
l’informatique scientifique, c’est aussi la recherche en informatique : oui, il y a des
problèmes très difficiles en informatique même si certains en doutent !

L’informatique scientifique est axée sur quatre concepts : le concept d’algorithme,
le concept de langage (pas seulement de programmation : de certification, de
compilation), le concept d’information et la machine elle-même, avec ses
propriétés physiques. L’informatique manipule des objets qui ont des propriétés
communes : compresser une image ou du son, c’est la même chose. Un enseignement
de l’informatique doit assurer un équilibre entre ces quatre notions. Donner
l’informatique aux mathématiciens, ce serait la restreindre aux deux premiers.

Dans le programme que nous avons écrit pour le lycée, nous avons privilégié la partie
technique, c’est-à-dire la programmation. L’enseignement de l’informatique n’est pas
une nouveauté : on peut le structurer en trois étapes. La première est l’utilisation d’un logiciel : retoucher une photo, traiter un texte, créer une page web, et ce peut être très
sophistiqué. La deuxième est l’écriture de programmes. La troisième étape est l’entrée
dans la science informatique : travail sur les langages, apprentissage de la notion
d’entropie, etc. Cela pourrait correspondre aux trois niveaux d’enseignement : collège,
lycée, enseignement supérieur. Au lycée, on pourrait prévoir deux tiers de
programmation, et un tiers de notions fondamentales. Un quatrième tiers pour parler
comme Pagnol, pourrait être consacré à des exposés portant sur des questions en lien
avec les autres disciplines : économie, philosophie, droit, question des virus, etc.

En conclusion, enseigner l’informatique demandera au lycée d’enseigner une technique
et c’est un apprentissage qui demande du temps. Cette notion de technique a de la
difficulté à entrer dans l’enseignement général. Or l’informatique n’est pas seulement
une science ; elle a un lien fort avec la technique. Enseigner l’informatique serait donc
un bon moyen de faire entrer la technologie au lycée de façon noble.

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