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Quelques réflexions à propos de la formation continue des professeurs de mathématiques

 [*]

René Cori [**]

Ce qui est frappant, ainsi que l’a fort justement relevé Dominique Rojat [1]
au cours
de ce colloque, c’est le contraste qu’il y a entre, d’une part, le constat de « sinistre »
de la formation continue, déjà unanime il y a deux ans [2]
, et confirmé par le ministre
Xavier Darcos lui-même en 2008 devant l’académie des Sciences [3]
, et, d’autre part,
le foisonnement, l’extraordinaire richesse des initiatives en tout genre pouvant entrer
dans le champ de la formation continue des enseignants scientifiques. Si un grand
nombre de témoignages et de réflexions entendus au cours du colloque illustre cet
incontestable potentiel de formation de grande qualité, il n’y a pas eu de véritable
discussion à propos de cet apparent paradoxe.

Je voudrais suggérer ici quelques pistes de réflexion à ce sujet.

Une offre de formation illisible

Dans un document remis aux participants au colloque, le ministère de l’éducation
nationale présentait un état des lieux chiffré de la formation continue (FC). Un constat
y attirait l’attention [4]
 : la part des mathématiques, des sciences et des humanités
réunies dans les actions de FC est d’environ un quart. À quoi sont donc consacrés les
trois quarts restants ? Virginie Gohin [5]
, qui disposait de données plus complètes,
commença à répondre à cette question naturelle en énumérant les autres sujets, qui
intervenaient chacun pour une très petite part. Elle n’eut pas à aller bien loin : tout
le monde était fixé ! Cette atomisation de l’offre, aggravée par une présentation
uniforme de quantité de sujets, tous mis sur le même plan, rend chaque PAF
pratiquement illisible. Que dire alors de la trentaine réunie ?

Avoir une bonne visibilité de l’offre de formation serait pourtant essentiel pour
essayer de l’améliorer, ou même seulement de l’évaluer. Qui peut prétendre avoir une
vue d’ensemble raisonnable de l’offre de formation continue existant dans sa discipline
à l’échelle nationale ?

Si la mise en œuvre des actions de formation continue doit, bien sûr, relever des
académies, si celles-ci doivent participer à leur conception et les décliner en fonction
des particularités locales, il est indispensable de conserver une cohérence au niveau
national à l’ensemble de la FC, ce qui suppose une coordination beaucoup plus forte
que celle, dérisoire, qui existe actuellement.

Une typologie des actions de formation s’impose également. Un stage où le
professeur pourra acquérir de nouvelles connaissances disciplinaires, sur un domaine
développé récemment, ou négligé lors de la formation universitaire initiale, n’a rien
à voir avec une action ponctuelle d’information sur une nouvelle organisation
pédagogique ou administrative, ni avec l’appropriation d’outils techniques nouveaux.
De même il est nécessaire de bien distinguer une commande institutionnelle de
circonstance d’une formation librement choisie par un professeur qui en ressentirait le
besoin.

Je n’hésite pas à dire que l’offre actuelle est excessive en nombre de stages. Contraints
de réduire leur budget de FC, les rectorats ont, avec constance, essayé de réduire la
durée des stages plutôt que leur nombre. Cela n’a fait que renforcer le caractère atomisé
de l’offre et l’absence de lisibilité. Il vaudrait beaucoup mieux que les enseignants se
voient proposer un petit nombre de formations de durée conséquente, plutôt qu’une
multitude d’actions d’un ou deux jours, sans suivi et sans cohérence.

Le besoin de formations longues

On a pu percevoir une contradiction entre les chiffres contenus dans l’état des lieux
évoqué plus haut et la présentation faite lors du colloque par Bruno Trosseille, de la
DEPP [6] . En effet, dans le premier, les mathématiques apparaissent comme
systématiquement plus « demandées » dans la FC que les autres disciplines
scientifiques, alors que dans la deuxième, les mathématiciens semblent plutôt moins
nombreux que les autres à mettre en avant un besoin de FC. En réalité, cette deuxième
impression est trompeuse, car dans la colonne voisine de celle où figuraient les
chiffres mis en avant par Bruno Trosseille, les mathématiciens apparaissent comme
plus demandeurs que les autres de « reprise d’études ».

La reprise d’études est-elle différente de la formation continue ? Peut-être, mais
probablement pas au niveau des besoins ressentis par les collègues.

Car ce qui domine, c’est le désir de se retrouver dans une situation de formation, de
se replonger dans le bain universitaire, de retrouver le contact avec les lieux de la
recherche, de la science en train de se faire. Je repense ici au témoignage de Jean-Pierre
Kahane, qui a très bien décrit, lors du colloque de 2007, la satisfaction éprouvée par
sa fille lorsqu’elle eut l’occasion de suivre, une année durant, la préparation à l’agrégation interne dans une université.

Des périodes sabbatiques

Et cela m’amène à une autre réflexion, inspirée aussi par le titre, en forme de
question, de l’exposé de Christian Amatore : « Enseigner la science toute une vie,
loin d’un laboratoire de recherche ? ».

Les enseignants universitaires baignent en permanence dans cet environnement salué
comme extrêmement bénéfique, et on peut donc dire que, d’une certaine manière, ils
sont en situation de « formation continuelle » (même si des besoins propres existent
en la matière, mais ce n’est pas le sujet du jour). Or ces enseignants se voient offrir
périodiquement la possibilité de se plonger encore plus complètement dans le bain de
la recherche, en étant dispensés des 192 heures équivalent TD que comporte leur
service. Ne résulte-t-il pas des discussions du colloque que les professeurs du
secondaire et du primaire auraient encore bien plus besoin de telles périodes
sabbatiques ?

Peut-on vraiment considérer que deux ou trois jours passés avec des formateurs (et pas
toujours, loin s’en faut, en milieu universitaire) peuvent tenir lieu de remise dans le
bain scientifique ?

Coordonner, organiser, impulser

En voyant défiler l’impressionnante liste d’actions, toutes excellentes, que nous ont
décrites tout au long de ces deux journées les différents intervenants, je trouvais au
fond une illustration de la vision proposée lors de la séance d’ouverture par Jean-Marc
Monteil : celle d’une formation continue que chaque professeur serait invité à
s’approprier. Vision iconoclaste, dit-il, mais l’est-elle tant que ça ? Une collègue y est
revenue en interrogeant une autre intervenante (Ana Serrador [7]
) : fallait-il voir dans
les propos de J.-M. Monteil la justification d’un éventuel renoncement de
l’institution à ses prérogatives en matière de FC, les professeurs étant en quelque sorte
livrés à eux-mêmes ? On veut croire que celui qui a rappelé avec force son attachement
à l’école de la république ne peut avoir de telles arrières-pensées. Mais force est de
constater qu’il fournissait dans son discours quelques arguments à ceux qui verraient
volontiers s’installer un vaste « marché » de la formation. L’invitation qui nous est
faite à faire fleurir partout des actions de formation de toute sorte irait ainsi de pair
avec celle qu’on adresserait aux professeurs : « allez faire vos emplettes ; les étals sont
bien garnis et la marchandise de première qualité ». « Forme-toi toi-même » pourrait
alors devenir une devise de l’éducation nationale.

On me dira que je caricature ? Je n’en suis pas tellement sûr.

En tout cas, ma conviction est que ce dont la formation continue a besoin, de façon
urgente, c’est d’une coordination, d’une organisation, d’une impulsion. S’en remettre
exclusivement aux académies n’est pas raisonnable. Faire dépendre la possibilité
d’accès à une formation des seuls impératifs de gestion d’un chef d’établissement ne l’est pas davantage. La nécessaire autonomie doit rester dans des limites compatibles
avec les impératifs d’une politique nationale clairement identifiée.
L’exigence d’une coordination de la politique de formation peut faire craindre des
dérives bureaucratiques. Si le danger ne doit pas être nié, mais mesuré et évité, il est
tout de même utile de souligner que le paysage actuel, fait de démarches
administratives souvent fastidieuses et surtout inlassablement répétées (soumission
de projets, renseignement de quantité de tableaux, élaboration de conventions pour la
moindre action entreprise, paperasserie ou tableurerie, …), peut difficilement être
considéré comme un modèle !

Si riches, si foisonnantes, si inventives, si séduisantes soient-elles, les actions de FC
ne permettront de modifier significativement le constat de sinistre qui a été fait que si
elles sont incorporées dans un plan d’ensemble, que si elles procèdent d’une réelle
volonté politique, au sens le plus noble du terme.

Quelques pistes

Une vision d’ensemble de la formation continue devrait selon moi comporter quelques
grands axes.

• La durée, on l’a dit. Celle-ci devrait notamment être facilitée par le recours aux
moyens de communication distante, qui doivent permettre d’initier des
échanges entre stagiaires et formateurs avant le début de la formation
proprement dite, et le maintien de ces échanges au-delà de celle-ci.

• La qualité scientifique. Cela suppose la visibilité, les moyens d’une évaluation
sérieuse, le recours à l’expertise scientifique à toutes les étapes des actions de
formation. Les universitaires, les chercheurs des disciplines, de leur histoire,
de leur épistémologie, de leur didactique, doivent être impérativement associés
aux enseignants « du terrain ».

J’ai été frappé, lors de la présentation faite par Gérard Besson [8]
, de voir que la
politique de la formation continue, au niveau d’une académie, était déclinée
sous trois aspects : la pédagogie, les ressources humaines, le niveau de
l’exécution. Un volet m’a semblé manquer : le scientifique (qui intervient,
éventuellement, au niveau de l’exécution, alors qu’il devrait être présent à tous
les stades de l’élaboration et de la mise en oeuvre de la FC).

• La reconnaissance de toutes les étapes de la formation, depuis sa conception
jusqu’à sa mise en œuvre et, au delà, à la mesure de son impact et au suivi de
ses effets. Ce processus est long, et n’est absolument pas reconnu
actuellement. Seules existent officiellement les quelques heures que les
formateurs passent en présence des stagiaires, ce qui ne constitue (en tout cas
ne devrait constituer) qu’une petite partie du travail accompli pour cela par les
uns comme par les autres. L’exemple des groupes de recherche des IREM est
à cet égard une référence très utile. La qualité généralement reconnue aux stages proposés par les IREM [9]
doit beaucoup à tout le travail effectué en amont et
en aval. La reconnaissance de cette authentique activité de recherche est une
nécessité dont devraient prendre conscience aussi bien les responsables du
ministère et des rectorats que ceux des universités.

• La définition des rôles de chaque intervenant. Animer un stage de formation
continue doit être une part normale du service d’un formateur (qu’il soit
enseignant du secondaire ou du supérieur, chercheur, inspecteur). L’idée même
d’une rétribution du travail d’animation sous forme d’heures complémentaires
donne à cette activité un caractère marginal, alors qu’elle devrait être
primordiale. Là encore, les IREM montrent la voie : des universitaires y
assurent une partie de leur service statutaire et les actions de FC entrent dans
ce service. Dans le passé, des décharges de service permettaient à des collègues
du secondaire d’être dans la même situation. Leur disparition totale n’a pas
contribué à améliorer la formation continue…

• Enfin, la définition d’une véritable stratégie de la formation continue est aussi
importante que celle d’une politique éducative en général. C’est la vocation,
c’est la prérogative, de l’éducation nationale. C’est le devoir de la nation.

Une grande cause nationale

Si nous sommes tous d’accord (et nous le sommes !) pour déclarer sinistrée la
formation continue, si nous sommes tous d’accord (et nous le sommes !) pour estimer
que c’est pourtant un domaine essentiel à la politique éducative du pays, alors il faut
faire de ce sujet une grande cause nationale.

Pourquoi ne pas imaginer de confier la conduite de la formation continue à un
organisme national [10]
 ? Créer un grand institut de la formation continue de
l’éducation nationale
serait un signe donné à la communauté éducative que cette
grande cause est une priorité.

Les scientifiques ont là une grande responsabilité à exercer. Nombreux sont les acteurs
de l’éducation qui souhaitent que les plus éminents de nos savants fassent entendre
leur voix. Le colloque de 2007 et celui d’aujourd’hui sont deux excellentes initiatives.
Puissent-elles trouver une traduction concrète.

<redacteur|auteur=511>

Notes

[*Ces réflexions ont été rédigées à l’issue du colloque « CULTIVER LA SCIENCE. La
formation continue des professeurs enseignant les sciences », colloque organisé par
l’académie des Sciences, Paris, 12-13 avril 2010.

[**Université Paris Diderot – IREM de Paris 7.

[1doyen de l’Inspection Générale de Sciences de la Vie et de la Terre.

[2lors d’un autre colloque de l’académie des Sciences : « La formation des professeurs à
l’enseignement des sciences », Paris, 4-5 octobre 2007.

[3d’après ce que nous a dit le président de l’académie, Jean Salençon.

[4comme l’a souligné Alain-Jacques Valleron.

[5chef du bureau de la formation continue des enseignants à la Direction Générale de
l’Enseignement Scolaire (DGESCO).

[6Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance.

[7Direction générale de l’Éducation et de la Culture de la Communauté européenne.

[8Recteur de l’académie de Clermont-Ferrand.

[9Voir à ce sujet les recommandations de l’Académie des sciences à l’issue du colloque cité
dans la note 2.

[10L’exemple que nous a remarquablement décrit notre collègue britannique, Sir John
Holman (National Science Learning Centre, Université de York, Royaume-Uni) pourrait
nous inspirer utilement. Avec des moyens plutôt réduits, le réseau d’instituts de formation
des enseignants en sciences qu’il dirige apporte des réponses convaincantes à nombre de
questions soulevées pendant le colloque.

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