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Séminaire APMEP 2011 Évaluation et docimologie

Intervention de Jacques Nimier [1]
Rapportée par Catherine Combelles

Jacques Nimier est Professeur Honoraire de Psychologie Clinique à l’Université de Reims. Il a d’abord été professeur de mathématiques, et a beaucoup travaillé au sein des IREM et des IUFM. Il a toujours été passionné par les liens entre psychologie et enseignement. Son site (http://www.pedagopsy.eu/) est à visiter absolument.

Je suis très content de me trouver ici, au sein de l’APMEP qui a joué un grand rôle dans ma vie. Je voudrais vous parler de docimologie d’un point de vue sociologique et d’un point de vue psychologique.

La notion d’évaluation prend actuellement une ampleur importante, et ce n’est pas un phénomène seulement français. C’est vrai dans tous les pays. Une précision pour commencer : je ne suis pas opposé à l’utilisation des notes, ni à la mise en place d’évaluations. Mais on veut aujourd’hui tout évaluer : les élèves, les enseignants, les
établissements, les enfants de moins de 3 ans, les psychothérapies.

Il faut « faire du chiffre  », et sur tous les sujets  ; et « faire du chiffre  », c’est mathématiser. L’idée sous-jacente à ces pratiques, c’est que la réalité est mathématique. Chez certains mathématiciens, on retrouve ce fantasme d’une réalité mathématique ; il faut en prendre conscience.

Examinons le contexte psychologique  : une réaction souvent provoquée par ces évaluations chiffrées est du type : « je sais ce que vous dites, mais je n’y crois pas » (phrase que Jacques Nimier répétera en leitmotiv au long de son intervention.). La docimologie provoque une confrontation du cognitif « je sais » et de l’imaginaire.
« je n’y crois pas », ce qui implique « donc je ne change pas mes habitudes ». On peut connaître la didactique mais ne pas y croire. Ce n’est pas le cognitif qui guide l’action. On en a là une preuve.

Examinons les performances de la docimologie : En 1930 le professeur Laugier sème un malaise pernicieux dans les milieux universitaires, en effectuant une expérience de multi correction de copies d’agrégation d’histoire puisées dans les archives. Cent-soixante-six copies ont été corrigées par deux professeurs travaillant séparément, sans connaître leurs appréciations respectives. Tous les deux avaient une longue expérience et corrigeaient méticuleusement. Les résultats furent surprenants. La moyenne des notes du premier correcteur dépassait de près de deux points celle du second. Le candidat classé avant-dernier par l’un était classé second par l’autre. Les écarts de notes allaient jusqu’à neuf points. Le premier correcteur donnait un 5 à vingt-et-une copies cotées entre 2 et 14 par le second ; le second donnait un 7 à vingt copies cotées entre 2 et 11,5 par le premier. La moitié des candidats reçus par un correcteur était refusée par l’autre. (Voir différentes expériences de ce type sur la page http://www.PedagoPsy.eu/docimologie.htm )

Dans les années 70, on a répété des expériences de ce genre, et elles ont toutes donné le même type de résultat. Ainsi, dans le cadre d’une formation d’enseignants de mathématiques à l’I.R.E.M., j’ai demandé à une collègue vingt copies de mathématiques. On les a anonymées, et on a demandé aux collègues en formation de noter les vingt copies, après avoir élaboré un barème précis. Moi, j’ai mis une note basée uniquement sur l’écriture et la présentation. On a rassemblé les notes. L’écart des notes sur une même copie atteignait onze points. Ma notation sur l’écriture et la présentation était dans la fourchette des autres, jamais la meilleure ni la plus mauvaise. Inutile de dire que les professeurs ont été très choqués ! Puis on a discuté pour essayer de comprendre. Les uns enlevaient des points à partir de 20, les autres partaient de 0, certains mettaient 0 à un résultat faux, les autres examinaient le raisonnement, certains tenaient compte de l’orthographe, etc.

La personnalité de l’enseignant joue un grand rôle dans sa notation : est-il tatillon ou pas ? Veut-il encourager les élèves, ou pas ? On remarque aussi une inconstance d’un même correcteur : au début et à la fin du paquet, sa notation a changé. Ainsi, les notes données par un professeur parlent plus du professeur que de ses élèves.

Quant à la moyenne, elle est le fruit d’une négociation. Le professeur régule par ce biais son évaluation trimestrielle.

Si on essaie de maîtriser la notation en précisant le barème, on n’améliore pas les choses. Il est important d’être conscient de ces phénomènes. Que faire des notes ? Certains en font un absolu. Il m’est arrivé de présider un jury de bac. Certains correcteurs étaient féroces. Quand je voyais dans une discipline une moyenne de 3
sur cent-cinquante copies, je proposais parfois de modifier une note en examinant le livret, mais les collègues étaient difficiles à convaincre ! Alors, j’avais trouvé un truc, très efficace : je disais : « on verra ça plus tard ». Arrivé à midi et demi, je reprenais
les copies litigieuses, et c’était réglé très vite !

Les enseignants jeunes ont tendance à faire comme ceux qu’ils ont eus. Les formateurs ne le font-ils pas eux-mêmes ? Ce qu’on a vécu, on le reproduit. On est pris dans un imaginaire collectif, et il est très difficile de s’en extraire. Ce matin, nous avons eu un exemple de situation classique : comment arrêter quelqu’un qui parle
trop longtemps ?

Le rôle de la note, c’est d’abord de motiver les élèves, (il est important de mettre une bonne note à un élève qui a progressé.), car la note n’est pas une mesure, elle est un message. Si on l’utilise comme un message, elle offre une possibilité de discussion, un lien. En ce sens, elle est utile. C’est un « objet intermédiaire » qui permet de
discuter.

Pour vous faire comprendre ce rôle d’ « objet intermédiaire  », voici un exemple d’exercice que je pratique en stage  : on distribue aux stagiaires une photo, et ils doivent parler sur cette photo. À travers ce que dit une personne de la photo, on comprend beaucoup de choses ; la photo permet à la personne d’exprimer des choses qu’elle n’aurait pas su dire sans cela. Les notes sont un tel objet intermédiaire. Le travail mathématique en lui-même est d’ailleurs aussi un objet intermédiaire.

Un professeur de l’assistance intervient : Est-il vrai qu’un barème serré augmente la dispersion ?

Jacques Nimier répond : C’est vrai. Il y a deux tendances parmi les personnalités des professeurs : laisser de la souplesse ou pousser la précision. La notation est un effort pour rendre les relations plus objectives. Sans note, on serait soumis à des pressions extraordinaires de la part des parents. La note permet au professeur de paraître objectif.

L’enseignant a une fonction d’aide et une fonction d’évaluation. Ce sont des fonctions contradictoires, car si un élève sait que vous l’évaluez, il ne peut plus y avoir la confiance indispensable, il va tenter de vous séduire, de vous tromper. Le bac pourrait donner un profil de l’élève avec la réussite à des modules de différents niveaux, au lieu d’être un couperet. Cela faciliterait l’orientation.

Aider, c’est être à l’écoute, faire trouver, amener à préciser. Pour travailler sur cette idée, je fais faire l’exercice suivant : on met les stagiaires par deux, l’un des deux a les yeux bandés. Celui qui voit doit amener l’autre à réaliser un projet, par exemple écrire son prénom au tableau, mais il ne doit pas parler. Puis, on examine ce qui s’est passé. (Voir : http://www.pedagopsy.eu/construction_connaissances.htm )

Le travail par deux est une aide considérable, cela aide les deux. L’auto-évaluation a été étudiée : les élèves sont plus sévères que les professeurs. Mais la discussion entre élèves est très fructueuse, et pour les deux à la fois : pour celui qui explique et pour celui qui écoute l’explication.

Quant à l’évaluation par compétences, elle peut amener de la fluidité, sauf si on passe trop de temps à mettre des petites croix ! Tous les outils peuvent être bons ou mauvais selon l’usage qu’on en fait. Les bonnes idées poussées à l’extrême se dégradent.
(Livret de compétence, sous-compétence, parfois, les enseignants en rajoutent…). Même une « mauvaise » évaluation (l’évaluation de CM2, par exemple, a été très critiquée) peut être utile. Mais attention, l’évaluation comporte un danger : on peut atteindre le narcissisme d’un gamin en déclarant son incompétence.

L’important dans l’enseignement est la relation entre le professeur et l’élève. Tout ce qui peut y contribuer est bon. On a vécu sur l’idée que pour enseigner les mathématiques, il suffisait de les connaître. La motivation de beaucoup d’enseignants de mathématiques, c’est « j’aime les mathématiques ». Il semble que
cela évolue. Les étudiants actuels ont envie d’enseigner peut-être plus que de faire des mathématiques. Grâce aux élèves, on commence à comprendre que le métier met en jeu la relation avec les élèves. Mais on tente encore d’évacuer la psychologie en donnant des méthodes et des « gestes professionnels ».

Devant la violence, par exemple, il faut prendre conscience de sa propre violence. Il faudrait donner une formation clinique aux professeurs. La psychologie clinique s’intéresse aux phénomènes de groupes et aux phénomènes de la relation et n’est pas à confondre avec la psychopathologie. La formation des moniteurs de colonie de vacances comprenait une formation en psychologie intéressante, mais les concours actuels, dans lesquels se moule la formation, ne prend aucun compte de la formation en psychologie. C’est bien dommage.

La docimologie a un siècle, et il y a un refus en France de prendre en compte les travaux faits sur cette question, de même qu’il y a un refus de la psychologie dans le milieu de la didactique. Les MAFPEN ont fait un petit quelque chose, mais ça n’a pas duré. Docimologie et psychologie se touchent, refuser l’une, c’est refuser l’autre.
On est très cartésien en France, et on est fortement spécialisé dans une discipline alors que les problèmes les plus intéressants sont souvent à l’interface entre deux ou plusieurs disciplines. Et il est très français aussi de passer d’un extrême à l’autre (les polémiques !). Ainsi, la psychanalyse a été très prisée au temps de Lacan, et on la dit moribonde. On refuse la complexité et on porte des jugements sommaires : pour ou contre.

La sociologie est utile au professeur, mais elle ne suffit pas  : le sociologue va s’intéresser à ce qui est commun aux personnes, et le psychologue va au contraire se centrer sur ce qui est unique dans chacun. De même, la logique mathématique est une logique commune à tous, alors que la logique des associations d’idées est unique à chacun. Bien des erreurs en mathématiques proviennent d’associations d’idées. Il faut avoir conscience de ces deux ordres de logique et une formation purement mathématique n’en dit rien.

Chaque discipline a sa spécificité sur le plan psychologique : les mathématiques sont très liées à la notion de règle, de loi ; la géographie à la notion d’espace ; l’histoire à la notion de temps ; les sciences naturelles à la notion de vie. On peut imaginer des types de projection et de fantasmes très différents.

On trouvera sur le site de l’APMEP une liste de plusieurs ouvrages de J.Nimier.
Citons au moins « Mathématique et affectivité », devenu un classique et qui reste d’actualité. Voir également son site PedagoPsy.eu.

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Notes

[1jacques.nimier@orange.fr

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