De quoi souffrent les étudiants ?  
 

 

 

 

D’un mal commun. Les étudiants sont les victimes collatérales d’un problème plus général. Leur mal est varié : anxiété, stress, isolement, formation et projets en berne… La source principale de ce mal est dans la difficulté à comprendre quelle place et quel rôle la société leur accorde. On ne peut toutefois pas parler d’un mal-être uniforme, il est diversifié [1], et certains le subissent moins.

Certains étudiants sont en classe, avancent et travaillent, bénéficient de cours en présence physique d’un enseignant. Des chanceux. Les étudiants protégés par les protocoles de lycée sont dans une forme de normalité, même altérée. Bien sûr, ceux-là subissent aussi l’inconfort des gestes barrières, et d’une socialisation qui déraille, mais ce ne sont pas d’eux dont parle aujourd’hui les médias résonnants. Car les étudiants en université n’ont pas cette chance, et leur mal semble plus profond. Ils subissent un traumatisme ancré, révélé par la crise actuelle. La syndémie évoquée par la revue « The Lancet » pour parler de la situation sanitaire est une explication. Nous vivons une épidémie au taux de létalité heureusement modéré mais qui révèle des failles structurelles dans la santé des populations. [2]

La décision de fermer les universités n’a donc pas cherché à mettre les jeunes à l’abri d’une maladie qui les touche peu. Par contre elle les a isolés, contraints et a réduit leur liberté donc leur autonomie. Leur tribut au bien commun n’en est que plus conséquent. Cette fermeture a été décidée sous l’effet d’une crainte, celle d’une circulation incontrôlée du virus due à la supposée promiscuité. Il faut toutefois rappeler un fait : en automne, le virus ne se transmettait ni dans les cours ni dans les TD [3]. Il n’y a pas eu de foyer épidémique dans les campus, où les gestes barrières étaient en place, la distanciation physique imposée, et les jauges réduites. Le comportement très civique de l’immense majorité des jeunes a permis que toutes les conditions soient réunies pour limiter la contamination. Une fois dans les salles, étudiants et enseignants ne pouvaient pas vraiment faire circuler ce virus… pas plus que des enseignants et élèves de lycée.

La suspicion de contamination était située ailleurs : les restaurants universitaires, les espaces extérieurs, les « attroupements » devant les amphis. Un campus rassemble des foules. Pourtant, à bien y regarder, les R.U. [4] se sont vite adaptés à la vente à emporter, et les rassemblements extérieurs étaient par nature très restreints. L’alternance mise en place dès fin septembre limitait les contacts. Elle aurait certes pu être renforcée pour les amphis, mais il semblait possible de sauver en grande partie l’enseignement en TD. Cette peur a alors procédé d’un fantasme bien établi : les étudiants font la fête. Après tout, ils ont raison de la faire, et le couvre-feu aurait suffi pour les limiter. D’ailleurs pourquoi imaginer que ces fêtes sont l’apanage des étudiants universitaires ? D’où provient cette idée ? Et on peut supposer que si les étudiants en université étaient considérés comme des travailleurs essentiels au pays, des conditions adaptées seraient en place, comme dans les entreprises. Pourtant préparer l’avenir du pays n’est pas le moindre des services que nous rendent les étudiants.

Les universités ne sont donc pas considérées comme des entreprises, et du reste c’est heureux. Leurs modes de gestion sont tout autant soumis à la rigueur — université et entreprise ont des points communs — mais leurs raisons sociales ne sont pas les mêmes. On remarquera que les entreprises ont largement rechigné au travail en absentiel, mais que les universités ont été interdites de choix. Manque de confiance, aggravé d’une culpabilisation des étudiants, déraisonnables, fêtards, trop conviviaux ?

Et pourtant, on le sait : l’enseignement tout à distance n’est qu’un pansement sur une jambe de bois. À la rigueur, il s’agit de transmission. L’émetteur émet, mais le récepteur est invisible. Aujourd’hui c’est bien ce que les étudiants expriment, et ce que nous avions résumé en juin par la formule « loin des yeux, loin du cours ». Sans la condition d’un lieu (salle), d’un temps (contraint), et d’une intention commune (faire cours), l’absentiel est un placebo. Il rend flou, illisible ce « ici et maintenant » indispensable à l’échange et la construction des savoirs. Le mal est fait : déprime générale dans les universités subie par étudiants et enseignants, dépressions, décrochage massif, sentiments de solitude et de vacuité, et en « cerise sur le gâteau », succédanés d’examens. Cette souffrance est symptomatique d’autre chose de plus systémique.

Pourquoi l’Université n’a-t-elle pas eu la possibilité de s’adapter, comme les lycées ont réussi à le faire ? La réponse tient sans doute en un mot : massification. C’est le mal latent du système scolaire public. Le terme est très déplaisant, et il est toujours utilisé à la place de démocratisation. Massifier c’est gérer des flux, démocratiser c’est permettre à chacun de s’instruire autant qu’il le désire, autant que nécessaire.

Depuis les années 50 en France, le nombre de nouveau-nés oscille entre 700 000 et 800 000 par an. Cet accroissement de la population est stable. En 1980, les universités comptaient 858 000 étudiants, en 2000 presque 1,4 million et en 2019, plus de 1,6 million [5]. Les effectifs ont doublé. Et le taux d’encadrement ? Pas d’évolution [6]

Si cet indicateur ne suffit pas à analyser la qualité d’un système d’enseignement, il est tout de même révélateur. Rapporté au « coût » d’un étudiant de lycée, celui d’un étudiant en université est entre 20 % et 30 % plus faible [7]. La différence provient principalement du déficit d’encadrement. Cette inégalité interroge… Précisons que dans certaines universités, les postes de titulaires ne couvrent que les deux tiers des besoins en enseignement. Le tiers manquant est effectué en heures complémentaires, ou par recours à des contractuels ou vacataires. Certains sont des travailleurs précaires.

L’Université produit des savoirs et des diplômés, mais sa rentabilité ne se juge pas sur un bilan financier ou un « taux d’échec » en première année. La mesure de son caractère essentiel n’est pas la liste de ses publications ni les économies faites en précarisant des enseignements, ou en les remplaçant par des MOOC. Donnons-lui plutôt la confiance qu’elle mérite. Elle a une mission claire, il lui manque la capacité de la mener.

Élever le niveau de formation d’une génération est une volonté plus que louable. Il s’agit de démocratiser les savoirs. Quatre-vingts pour cent d’une classe d’âge au niveau baccalauréat est une avancée indéniable, c’est une démocratisation des diplômes. Mais ne pas permettre un accompagnement digne des nouveaux bacheliers dans l’enseignement supérieur, ni celui des étudiants en général, c’est de la massification. Une gestion des flux, contre une gestion des individus.

Et au bilan, qu’offre-t-on aujourd’hui comme perspectives à ces jeunes ?

Le pire serait encore de les faire culpabiliser d’être jeunes, de considérer comme une défaillance psychologique leur état, ou de ramener leur mal-être à un problème individuel de santé… quand il s’agit d’un problème durable de gestion publique.

 

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