Bulletin Vert no 425
novembre — décembre 1999

Éditorial du Bulletin 425

Nous sommes ringards

Nous sommes ringards : on nous le dit, on nous l’écrit, on nous le répète. Nous sommes des dinosaures, tout à fait inadaptés à la société moderne. Pourquoi cet acharnement ? En fait, il y a de bonnes raisons à cela. J’en vois clairement deux :

La première, c’est que nous ne produisons rien qui s’achète. Ce que nous essayons de fabriquer, des têtes bien faites, ça ne se trouve pas sur les rayons des supermarchés. C’est une affaire de rencontre et de communication entre des personnes, d’attention et d’efforts patients de part et d’autre. Denis Guedj nous l’a fort bien expliqué à Rouen : ce qui a vraiment de la valeur n’a pas de prix.

Honte à nous qui ne voulons pas participer à un grand marché de l’éducation, qui ne voulons pas jouer le jeu de la société de consommation. Malgré la pression ambiante, nous résistons : nous ne voulons pas que nos écoles deviennent des supermarchés d’un savoir qui serait traité comme une marchandise.

La deuxième, c’est que nous ne savons pas améliorer notre vitesse de production : depuis la magnifique leçon de Socrate, qui apprend au jeune esclave comment dupliquer un carré, nous n’avons guère fait de progrès ! Je prétends même que nous ne pouvons pas en faire ! Le cerveau d’un enfant, ça s’obstine, depuis des siècles et malgré les progrès de la science, à fonctionner toujours à la même vitesse. Pour faire comprendre une notions nouvelle, pas de miracle : aujourd’hui comme hier, il faut en parler ensemble longuement, il faut la faire fonctionner dans des situations variées pour repérer les problèmes où elle sera efficace et comprendre son utilisation. Pour faire progresser un élève un peu lent, il faut disséquer ses erreurs, chercher des représentations et des exemples qui lui conviendront mieux.

Les technologies modernes peuvent réduire les durées de fabrication d’une voiture ou d’un réfrigérateur, elles ne peuvent réduire le temps de formation d’un enfant, car ce qui le forme, c’est son temps de réflexion. Certes, les outils modernes sont très intéressants : ils fournissent des images nouvelles, et apportent de nouvelles occasions de vérification, ils permettent de ne pas toujours se contenter des cas que l’on résout facilement à la main, et enrichissant la gamme des problèmes et des situations tout comme la documentation. Ils peuvent aussi être plus motivants. Mais non, ils ne font pas gagner du temps, car c’est bien toujours le même élève qui apprend, avec toujours le même outil, son cerveau. Pour comprendre et apprendre à agir, il faut du temps, il en a toujours fallu, et il en faudra toujours : non, pour former un jeune, nous ne pouvons pas réaliser de gains de productivité.

Notre Ministre, semble-t-il, ne le sait pas puisqu’il prétend faire mieux en moins de temps, grâce aux technologies nouvelles. Quant aux allègements des horaires de seconde, destinés dans le discours officiel à mettre l’accent sur le travail personnel de l’élève, ils nous semblent rater leur but. Nous voyons dans la pratique, nous qui sommes sur le terrain, que bien souvent, nos élèves perdent leur temps au café du coin pendant les « trous » de leur emploi du temps : l’accueil des élèves qui n’ont pas cours n’étant pas organisé dans les lycées, l’allègement des horaires n’est en rien compensé par un incitation accrue au travail personnel.

Ainsi, nous sommes, par la force des choses, des dinosaures ringards, mais nous sommes de plus des dinosaures mécontents.

 

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