Bulletin Vert no 462
janvier — février 2006

Editorial du bulletin 462 Les temps changent, l’école aussi.

Il est indéniable que l’école est en crise depuis quelque temps. La massification de l’enseignement, avec son corollaire l’hétérogénéité des classes, la démission de certains parents dans leur rôle d’éducateur, la transformation de notre société ne sont pas étrangers à cette crise.

Le métier de professeur devient de plus en plus difficile. Les mathématiques, discipline particulièrement exigeante, sont même souvent remises en cause, non seulement par nos élèves et leurs parents, mais aussi, et je le déplore avec amertume, par de hauts responsables.

Cependant, faire porter sur notre système éducatif seul la responsabilité de cette crise, est un procédé intellectuellement malhonnête, assimiler l’administration de l’éducation nationale à une nomenklatura et ses cadres supérieurs à des khmers rouges [1], relève plus de l’invective [2], que d’un raisonnement digne d’un scientifique [3], plaindre les enseignants influencés par les nouvelles méthodes pédagogiques et victimes d’illusions généreuses [4] est un procédé démagogique qui ne fera sûrement pas avancer le débat.

La situation est grave. Elle nécessite une réflexion sérieuse, calme et dépassionnée. Les questions doivent être posées sans tabou ; les réponses examinées sans a priori partisan.

Attribuer aux nouvelles méthodes pédagogiques toutes les tares possibles ne me paraît pas sérieux sauf à répondre à quelques questions :

  • A-t-on correctement formé les enseignants ?
  • Leur a-t-on donné les moyens suffisants pour appliquer ces méthodes ?
  • A-t-on évalué ces méthodes et leur application ?
  • Aurait-on fait mieux avec d’autres ?

À l’APMEP, nous sommes, bien évidemment, pour la liberté pédagogique. Mais cela ne peut se concevoir que si les enseignants peuvent choisir, en connaissance de cause, la méthode où ils se sentiront à l’aise eu égard aux élèves qu’ils ont en face d’eux. De plus, des moyens en conséquence doivent permettre son application dans les meilleurs conditions possibles. Par exemple, il n’existe aucune méthode efficace, sinon cela se saurait, lorsqu’il n’y a pas adéquation entre les programmes et les horaires. Les professeurs de mathématiques en savent quelque chose.

Vouloir revenir au bon vieux temps où les programmes du primaire, tous niveaux et toutes disciplines confondus, tenaient en 5 pages [5] n’est qu’une illusion. L’école d’hier n’a rien à voir avec celle d’aujourd’hui. Les méthodes qui ont permis de dégager une élite républicaine ne fonctionnent plus aujourd’hui. Cette élite détient maintenant bien des leviers du pouvoir, mais les temps changent, les choix de société aussi. Alors que dans les années cinquante, la société portait à son école une réelle considération, aujourd’hui l’autorité du professeur est souvent remise en question, parfois même par le ministre de tutelle. Alors que l’on nous promet que l’éducation nationale est et restera une priorité nationale, alors que l’on sait que le nombre de départs en retraite sera important d’ici quelques années, on nous annonce la suppression de 6 000 postes aux concours de recrutement !

Alors quelles réponses à cette situation de crise ?

Le plus urgent est sûrement d’écouter les professeurs de terrain, tous les professeurs de terrain et pas seulement les quelques nostalgiques d’un passé idéalisé.

L’APMEP a toujours été une force de propositions et tournée vers l’avenir. Il est temps que l’on tienne compte de nos remarques, expériences et travaux.

Pour le court et moyen terme, l’APMEP propose, entre autres :

  • la création de groupe de suivi des programmes, ce qui permettrait d’établir une certaine adéquation entre programmes, élèves et horaires.
  • La création officielle de l’option sciences en classe de seconde afin notamment de lutter contre la désaffection pour les études scientifiques.
  • La création de laboratoires de mathématiques dans chaque établissement scolaire où tout élève pourrait participer à des activités de clubs mathématiques, rencontrer le professeur, s’initier aux TICE, etc.

D’autre part, enseigner les mathématiques ne doit pas se résumer à l’apprentissage d’une liste de définitions, propriétés et théorèmes. Comme le dit le proverbe chinois [6] : « Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que lui donner un poisson », nous sommes beaucoup à l’APMEP à penser qu’« il vaut mieux apprendre à l’élève à raisonner que lui donner des théorèmes clefs en main ». C’est en cela que l’APMEP pense que l’enseignement des mathématiques doit se préoccuper, avec un égal intérêt, des huit moments d’une véritable formation scientifique, à savoir : (1) poser un problème, (2) expérimenter, prendre des exemples, (3) conjecturer, (4) se documenter, (5) bâtir une démonstration, (6) mettre en œuvre des outils adéquats, (7) évaluer la pertinence des résultats et (8) communiquer [7].

L’histoire et l’épistémologie ne doivent pas non plus être absentes de notre enseignement. Les mathématiques ne se sont pas faites en un jour, de grands mathématiciens se sont parfois trompés. Il est primordial que nos élèves le sachent et aient une idée de la genèse des notions les plus importantes.

Pour le long terme, je préfère être prospectif plutôt que de me tourner vers le passé :
Une véritable mutation du climat pédagogique peut être nécessaire et autrement plus efficace que la simple modification des programmes. Ce qui m’amène à m’interroger sur les structures scolaires et les programmes.

La notion d’année scolaire est-elle pertinente ? Ne pourrait-on pas imaginer des programmes non plus annuels, mais par cycles de 3 à 5 ans, ce qui permettrait à chaque élève d’avancer selon son rythme.
Ces programmes ne seraient plus une liste exhaustive des différentes parties qu’il faut enseigner, mais distingueraient :

  • des noyaux fondamentaux auxquels les élèves se familiariseraient tout au long d’un cycle,
  • une série de notions fondamentales, que tout élève doit avoir acquis en changeant de cycle,
  • une liste non exhaustive de thèmes parmi lesquels les élèves et le maître pourront choisir.

Je vois huit noyaux fondamentaux, qui, à mon sens, sont l’essence même des mathématiques : nombres, grandeurs, calculs, proportionnalité, relations, raisonnements, formes et probabilité-statistique.

Les « notions fondamentales » permettent d’avoir conscience des noyaux, de se familiariser avec eux, de les assimiler.

Les thèmes, adaptés au niveau du groupe « élèves-professeur », doivent mettre en œuvre, tout en mobilisant tout ou partie des huit moments, diverses situations de découvertes ou de champs d’applications amenant à l’acquisition des notions fondamentales et donc à la compréhension progressive des noyaux.

Ce dispositif n’est, dans son ensemble, pas nouveau à l’APMEP. Déjà, le numéro 300 du bulletin vert était consacré à l’idée de « noyaux-thèmes ». Je pense que nous devons reprendre et approfondir cette réflexion, même si certains la jugent utopique.

 

« Une carte du monde qui n’inclurait pas l’Utopie n’est pas digne d’un regard, car elle écarte le seul pays auquel l’humanité sans cesse aborde. »

Oscar Wilde.

 

Notes

[1Outre qu’employer ce vocabulaire chargé de sens est scandaleux, cela incite à tous les amalgames possibles et revient à banaliser les drames humains vécus par les peuples soviétique et cambodgien.

[2C’est d’ailleurs un mode de communication employé par les amis de L. LAFORGUE. Voir forum de la SMF et l’édito du no 456

[3Comme quoi, on peut être très instruit et manquer d’éducation.

[4Interview de Laurent LAFFORGUE - F.O.

[5Interview de LAFFORGUE - F.O. ] Ibid.

[6Lao-Tseu

[7Plaquette « visages 2005-2006 »

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