Eloge des mathématiques
par Alain Badiou avec Gilles Haéri.
Flammarion, 2015.
128 pages en 13 x 20. Prix : 12 €.
ISBN : 978-2-0813-5245-2
Alain Badiou, écrivain et philosophe, professeur honoraire à l’ENS, répond aux questions de G. Haeri, éditeur et agrégé de philosophie.
L’exposé est structuré en cinq chapitres :
- I. Il faut sauver les mathématiques.
- II. Philosophie et mathématiques ou l’histoire d’un vieux couple.
- III. De quoi parlent les mathématiques ?
- IV. une tentative de métaphysique étayée sur les mathématiques. V. Les mathématiques font-elles le bonheur ?
Pendant quelque vingt-cinq siècles, de
Pythagore à Poincaré en passant par Platon,
Descartes, Leibniz, tous les grands philosophes
furent aussi mathématiciens, et réciproquement.
Alain Badiou ne l’a pas oublié,
lui qui, parallèlement à ses études de philosophie
à l’ENS, suivit deux années de mathématiques
en Sorbonne, et les pratique encore
quasi-quotidiennement. Son système philosophique
s’appuie sur quatre piliers, quatre
genres de vérités, selon lui indispensables à
la pensée philosophique : vérités scientifiques,
politiques, artistiques, amoureuses.
Rien d’étonnant donc si, après un « Éloge de
l’amour » et un « Éloge du théâtre », il nous
livre un « Éloge des mathématiques » et nous
promet pour bientôt un « Éloge de la politique
». Pour lui, philosophie rationnelle et
mathématiques naissent en même temps ; ces
dernières « participent de la pensée démocratique
» car celui qui a fait une erreur s’incline
toujours devant une démonstration ; en
mathématiques, « la liberté, loin de s’opposer
à la discipline, l’exige ». La philosophie «
s’incline devant les mathématiques » ; la
place laissée vacante par le renoncement à
Dieu est occupée par la théorie des
ensembles, qui obéit aux « quatre principes
d’absoluité » : elle est immobile (intemporelle),
elle est intelligible à partir de rien, elle ne
se laisse décrire qu’à partir d’axiomes, elle
obéit à un principe de maximalité.
Dans ce texte court, mais dense, le lecteur
plus mathématicien que philosophe retrouvera
des démonstrations fameuses très clairement
exposées, comme la non-équipotence
d’un ensemble avec l’ensemble de ses parties
; il sera parfois un peu dérouté par de rares
bribes de vocabulaire spécialisé : ainsi je n’ai
pas entièrement saisi le sens de « la classe
des ensembles "existe" sans pour autant être
». Ces petites difficultés d’accès ne peuvent
que motiver les esprits curieux et désireux
d’approfondir leur pensée. Ceux-ci auront
aussi l’occasion de débattre certaines options
prises par Badiou, qui, par exemple, est
ouvertement platonicien, considérant que les
objets ou structures mathématiques « existent
» en un certain sens ; ils pourront se
demander si les arguments de l’auteur à ce
sujet ne vont pas, en fait, dans le sens de la
thèse inverse. Et plus d’un sourira devant la
fréquence et l’acuité des « piques » lancées
aux « nouveaux philosophes ».
Notons par ailleurs que les opinions de Badiou sont pleinement « APMEP-compatibles », puisqu’il se soucie de faire aimer les mathématiques, qu’il veut convaincre qu’elles sont intéressantes, et voit pour cela trois moyens : la résolution de problèmes, présentés comme des énigmes ; l’appui sur l’histoire des mathématiques ; l’enseignement de la philosophie dès la maternelle.
Je conseille à tous les enseignants de mathématiques de lire ce livre, de le méditer, et de le faire lire à leurs collègues de philosophie : ceux qui adhèrent aux thèses de Badiou devraient être ouverts à des activités interdisciplinaires maths-philo. Les étudiants en mathématiques et en philosophie devraient également en tirer le plus grand profit.