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Méthodes et Pratique Scientifiques : une pédagogie pleine d’enseignements
Gérard Lamartinière [1]
Un plaisir pur d’enseigner ! Voilà à quoi pourrait se résumer cette expérience de
MPS en Seconde. Pas de « Monsieur à quoi ça sert les maths », pas de note, un
contexte motivant, bref un partage du savoir scientifique. Et de surcroît, plusieurs
objectifs du programme de Seconde abordés … sans effort !
Une place centrale aux TICE, Geogebra et tableur à l’honneur et surtout des
objectifs concrets à portée des élèves. Alors, MPS, TPE, option Sciences, n’y-a-t’il
pas là les modèles d’un enseignement « par objectifs concrets » pour les classes
scientifiques ?
Comme l’indique l’introduction, l’objectif central de cet article, outre le partage
d’une expérience pédagogique intéressante, est de s’interroger sur la portée d’un tel
type d’enseignement dans nos classes.
1. Une concertation fructueuse et incontournable
On le sait, plus que jamais l’esprit des nouveaux programmes comporte une
incitation forte à la concertation entre enseignants, dans tous les domaines. On le sait
aussi, la conséquence en est une lourde charge de travail supplémentaire. Là n’est pas
le sujet de cet article, cependant il est probable que l’avenir de la profession ne pourra
se faire sans une nouvelle approche pédagogique ne pouvant faire l’économie d’une
concertation interdisciplinaire efficace.
Notre première expérience de MPS a réuni quatre enseignants, deux de physique, un
de SVT et moi-même en mathématiques. Deux groupes de 18 élèves ont suivi cet
enseignement. Concertation inévitable donc, pour une mutualisation de nos savoirs
et pour une harmonisation des séquences. Mais aussi pour une meilleure perception
de l’écart qui existe dans nos approches disciplinaires et pédagogiques. Il s’agit, en
effet, de concilier des démarches empiriques, expérimentales, l’enseignement de
savoirs très divers en physique et SVT, avec la rigueur du raisonnement
mathématique.
Dans le cadre de la mise en place des enseignements d’exploration, nous avons pu
obtenir quelques HSE pour la concertation.
Le choix des thèmes
La diversité des thèmes a offert à chaque enseignant la latitude de s’investir dans des
sujets à sa mesure. Cette liberté pédagogique est, de mon point de vue, un moteur
important à la motivation de l’enseignant et donc à la qualité de l’enseignement.
Nos parcours d’enseignants, nos compétences et nos goûts étant divers, il nous a
fallu parvenir à un accord. Deux thèmes ont été retenus :
Investigation policière
Vision du monde
Nul doute que la motivation des élèves serait assurée par le premier thème qui a
finalement pris les deux tiers de nos séquences.
L’organisation
Les sujets choisis ont été les suivants :
Investigation policière : balistique, étude du sang, cryptographie,
identification de l’encre, étude de l’ADN, analyse d’un son.
Vision du monde : étude de l’œil et de la vision, optique, cristallographie,
mouvement des planètes.
Ces sujets ont été organisés de manière à donner du sens à la démarche, la
mathématisation venant en général après l’expérimentation.
2. D’un programme restrictif à l’acquisition d’un savoir ouvert
Je vais ici me centrer sur l’approche mathématique avec pour objectif de mettre en
évidence l’intérêt de la démarche suivie, par opposition à l’enseignement
« classique » qui s’en tiendrait aux obligations canonique des « programmes ». Là
encore, loin de moi le moindre esprit polémique qui voudrait ranger au placard ces
enseignants poussiéreux incapables de s’investir dans des enseignements
innovants … au risque de me ranger moi-même dans ce placard !
Non les programmes de mathématiques de Seconde ne sont pas fermés ni
restrictifs :
Bulletin Officiel n° 30 du 23 juillet 2009 :
Objectif général
L’objectif de ce programme est de former les élèves à la démarche scientifique sous
toutes ses formes pour les rendre capables de :
- 1. modéliser et s’engager dans une activité de recherche ;
- 2. conduire un raisonnement, une démonstration ;
- 3. pratiquer une activité expérimentale ou algorithmique ;
- 4. faire une analyse critique d’un résultat, d’une démarche ;
- 5. pratiquer une lecture active de l’information (critique, traitement), en
privilégiant les changements de registre (graphique, numérique, algébrique, géométrique) ; - 6. utiliser les outils logiciels (ordinateur ou calculatrice) adaptés à la résolution d’un problème ;
- 7. communiquer à l’écrit et à l’oral.
Ils seraient même très ambitieux au vu des horaires impartis, des conditions de travail
et d’un public élève au niveau mathématique souvent bien fragile en sortie de
collège.
Je crois pouvoir dire que nous avons tout de même atteint dans nos séquences un
certain nombre de ces objectifs.
J’aurais même la prétention d’affirmer que nous avons tenu cet autre aspect
mentionné par le même BO :
L’utilisation de logiciels (calculatrice ou ordinateur), d’outils de visualisation et de
représentation, de calcul (numérique ou formel), de simulation, de programmation
développe la possibilité d’expérimenter, ouvre largement la dialectique entre
l’observation et la démonstration et change profondément la nature de
l’enseignement.
a. Paraboles et coniques.
Un parcours rapide des programmes de seconde (et dans une certaine mesure du
cycle terminal) nous montre combien l’approche des coniques est aujourd’hui
essentiellement restreinte à leur aspect algébrico-analytique. En Seconde :
Étude de fonctions Fonctions polynômes de degré 2 | Connaître les variations des fonctions polynômes de degré 2 (monotonie, extrémum) et la propriété de symétrie de leurs courbes. | […] Savoir mettre sous forme canonique un polynôme de degré 2 n’est pas un attendu du programme. |
Les supports
La balistique, introduite en investigation policière, ouvre une place d’honneur à la
parabole tandis que, en Vision du Monde, c’est l’ellipse qui sera étudiée. Partant d’un
contexte concret (trajectoire d’un projectile dans la salle de l’enquête et mouvement
de la Terre) deux problématiques (modestes) ouvrent le champ à la recherche :
d’où le projectile a-t-il été lancé ?
dans quelle mesure la trajectoire terrestre autour du soleil peut-elle être
assimilée à un cercle ?
Étude de la parabole
Après des premières expérimentations physiques mettant en évidence la forme
parabolique de la trajectoire d’un solide, j’ai choisi de leur faire découvrir la parabole
à travers ses propriétés géométriques, par foyer et directrice :
Propriété 1 : tout point M de la parabole est caractérisé par l’égalité MF = MK où F
est le foyer et K le projeté orthogonal de M sur la directrice
Propriété 2 : la bissectrice de l’angle FMK est tangente en M à la parabole.
Pour bien comprendre ces propriétés, je commence par quelques exercices de
construction nécessitant des justifications mathématiques.
Puis la problématique posée conduit au problème suivant : obtenir la parabole d’axe
vertical passant par deux points A et B distincts et dont la tangente en B est connue
par son angle avec la verticale.
La démarche guidée consistera à :
Obtenir le foyer F et la directrice de manière que A et B vérifient les
propriétés 1 et 2,
Connaissant F, tracer le sommet de la parabole, puis un point M de la parabole
lié à son projeté K mobile sur la directrice,
En activant la trace de M et en déplaçant K, on reconstitue la parabole et on
visualise le point d’origine.
Comment obtenir le foyer F :
- on trace les deux verticales ($d_A$) et ($d_B$) passant par A et B,
- on trace la symétrique (d) de ($d_B$) par rapport à la tangente en B,
- on place un point G sur ($d_B$),
- on trace ($\Delta$) horizontale passant par G,
- on trace H, intersection de ($d_A$) et ($\Delta$) ,
- on construit les cercles ($C_A$) et ($C_B$) de centres A et B et de rayons respectifs
AH et BG, - on trace F, intersection de (d) et ($C_B$).
- on déplace G de manière à amener F sur ($C_A$).
Tous les élèves, plus ou moins guidés, ont réussi la construction et trouvé le point de
lancer. À la suite de cette activité, la plupart ont acquis une maîtrise correcte de
Geogebra.
On propose ensuite une approche algébrique de détermination du point de lancer, à
l’aide de l’écriture d’un trinôme du second degré, en s’appuyant sur la propriété
donnée de l’angle de la tangente : $2ax_A+b= \pm\frac{1}{tan(\alpha)}$
Étude de l’ellipse
Disposant de moins de temps, j’ai choisi de partir de l’équation générale de l’ellipse :$\frac{x^2}{a^2}+\frac{y^2}{b^2}=1$
Geogebra (profitons-en ici pour féliciter l’Autrichien Markus
Hohenwarter et son équipe pour ce remarquable outil pédagogique) trace
automatiquement la courbe associée à cette équation, pour des paramètres a et b
donnés.
Quelques manipulations géométriques permettent alors de vérifier les deux
propriétés équivalentes $ \frac{MF}{MH}=e$ et MF+MF’=2a
Une
partie des équivalences est alors démontrée. Et quelle
surprise en utilisant les valeurs connues de l’excentricité et
du grand axe de la trajectoire de la Terre, d’observer … un
(quasi) cercle !
L’activité se termine par une ouverture sur les coniques
comme sections planes du cône.
Observations
L’aspect algébrique de la parabole sera naturellement approfondi en classe où les
polynômes ont pris une place nouvelle dans les programmes. Sans viser des objectifs
trop ambitieux pour nos élèves, ces activités leur ont apporté une approche
beaucoup plus globale des coniques, leur ont permis, à travers des observations,
des manipulations et des démonstrations, d’aborder leurs propriétés sans en faire
une activité réservée aux matheux. Certains aspects sont un peu difficiles, mais
l’approche par Geogebra réduit considérablement la difficulté.
b. Premières armes en cryptographie
L’objectif est très modeste ici mais il met en
évidence quelques principes de la cryptographie
et permet une manipulation pratique d’un tableur
(Excel pour ne pas le nommer !).On se limite ici au codage par décalage de lettre.
Le message codé, découvert sur un bout de
papier, est fourni, et il s’agit d’en retrouver le
sens :
XM RXQOTQFFQ QEF XQ EUSZMX UX QZ
HQGF M YM HUQ XM HQDUFQ QEF PMZE
XQ OARRDQ XQ OAPQ QEF AUEQMG QZ
MEOUU
Après une première recherche sur Internet du mode de codage ASCII, il s’agit de
comprendre le principe de la permutation circulaire des 26 lettres de l’alphabet et de
trouver les fonctions du tableur permettant d’automatiser le problème. Nous
travaillons donc modulo 26 et il s’agit de construire habilement sa page tableur pour
retrouver le message d’origine.
Observations
Approche modeste, certes, mais qui nous ouvre tout de même aux questions de la
divisibilité par 26 et aux principes du codage binaire. Petite excursion dans
l’arithmétique donc, hors programme certes, mais pas sans intérêt.
c. Sinusoïde et signaux
Pleinement au programme de Seconde, l’étude de la sinusoïde, après une première
approche en physique sur l’observation de signaux, vise à réfléchir sur le rôle de la
période. En fait, l’objectif était initialement plus ambitieux. La problématique initiale
était : peut-on isoler un signal particulier dans une émission sonore comportant des
bruits parasites ?
Mon collègue de physique a exploité une application numérique faisant appel à la
transformée de Fourier, permettant d’afficher le spectre d’un signal de nature
sinusoïdale. Prenant mon courage à deux mains, je me suis replongé dans mes cours
d’école d’ingénieur afin de proposer une approche simple de la transformation de
Fourier. Je dois reconnaître là mon échec et je lance volontiers un appel à plus
compétent que moi pour cela.
Là encore, Geogebra se montre extrêmement pratique : tracé d’une sinusoïde,
variation de la période (très pratique le « curseur » !), addition de deux signaux
sinusoïdaux, construction d’un signal carré. Ouverture certaine par rapport aux
programmes, mais sans douleur…
d. Suites et convergence
Nous avons abordé ici le thème de la cristallographie (Vision du Monde – infiniment
petit). Je me suis très largement appuyé sur le dossier Eduscol (voir références) qui
propose différentes approches mathématiques sur ce thème. J’ai choisi de me limiter
à la « construction » d’un cristal par agglomération de cubes identiques.
Un premier travail de représentation dans l’espace est indispensable pour parvenir à
déterminer la suite logique des nombres de cubes construits à chaque étape. Bien
guidée, cette séance nous conduit à la construction d’une suite sur tableur, et à la
représentation graphique de la suite des volumes successifs. Le dossier Eduscol
propose d’observer que le « cristal » ainsi formé prend une forme octaédrique. Pour
ma part, je l’ai orienté autrement en proposant la construction d’un modèle de
cristallisation cohérent avec les expériences réalisées préalablement en physique. Il
s’agissait de prendre en compte la réduction de la vitesse.En effet, le modèle initial
semble laisser penser que notre cristal grandit
indéfiniment de manière exponentielle. Dans
les faits, la réaction ralentit, ce qui entraîne
une convergence des volumes de cristaux
vers une limite donnée. L’idée est
d’introduire un facteur k de réduction de la
vitesse qui évolue donc selon une suite
géométrique décroissante. Le travail des
élèves consiste alors à choisir le paramètre k
pour que la durée de réaction soit cohérente avec l’expérience.
Observations
Là encore, nous débordons largement du programme en abordant la notion de suite
et même de convergence, mais ce, sans exiger une maîtrise technique dépassant le
niveau Seconde. L’idée de construction d’un modèle cohérent s’intègre pleinement
dans la démarche scientifique. Pour la deuxième fois de l’année, les élèves ont, en
outre, à manipuler un tableur.
3. Évaluation : un enjeu de réussite
Comme toute action pédagogique, l’évaluation joue un rôle fondamental dans sa
réussite. En effet, elle positionne le niveau de l’enjeu pour les élèves (aspect
administratif) mais elle impose aussi un travail de synthèse indispensable.
Nous avons fait le choix unanime de ne pas donner une note « comptant » dans le
bulletin.
Pour chacun des thèmes, une séance a été réservée à l’évaluation mais a pris des
formes différentes :
premier thème : restitution du cahier de bord personnel + production d’une
synthèse par binômes
deuxième thème : réponse à un QCM (prévu en fin d’année)
Des critères d’évaluation ont été conçus par un des collègues de physique. Les
cahiers de bord sont évalués par un seul professeur, les synthèses par un enseignant
de chaque discipline, donnant lieu à une appréciation concertée par élève et reportée
sur le bulletin.
À noter que certains élèves ont fait un excellent travail de synthèse.
De plus, à l’issue du premier thème, nous avons soumis aux élèves un questionnaire
sur leur perception de l’activité menée et de son organisation. On en retiendra qu’ils
ont apprécié l’alternance des matières (75%) mais moins celle des professeurs (50%),
qu’ils ont majoritairement trouvé les notions accessibles (83%) et pensent avoir
mieux compris en quoi consiste la démarche scientifique (90%). 60% d’entre eux
estiment, enfin, que le travail réalisé leur donne une idée plus claire sur leur choix
d’une filière scientifique.
Conclusion : vers un enseignement scientifique « par objectifs concrets »
Que d’acquis donc pour nos jeunes, et ce, au rythme de seulement une demi-heure de
mathématiques par semaine !
En résumé, de cette expérience MPS, nous pouvons retenir les axes suivants qui
pourraient inspirer une pédagogie nouvelle de l’enseignement scientifique :
une liberté pédagogique source de motivation, inspirée de programmes précis
naturellement, mais suffisamment souples pour laisser place à des
acquisitions plus ouvertes,
une concertation régulière mettant en place une progression annuelle
cohérente entre les trois disciplines,
un enseignement basé sur la réponse à des problématiques concrètes, peu
ambitieuses (quoique …) mais bien ciblées,
une approche par l’expérience, la manipulation qui conduit à des éléments
théoriques et des outils mathématiques formant l’ossature des programmes et
qui sont, ensuite seulement, retravaillés en classe,
la mise en place d’une démarche scientifique claire et applicable par les
élèves.
Naturellement, il ne s’agit pas là de découvertes révolutionnaires. Je pense que,
comme moi, beaucoup d’enseignants ont l’intuition de ce que pourrait être un
enseignement porteur, motivant pour nos élèves, que les contraintes institutionnelles
et matérielles n’étoufferaient pas. À modeste échelle, je peux dire avoir vécu un
enseignement tel que je l’ai toujours conçu : ouvert à tous, concret, où l’ont fait des
sciences. J’ai conscience qu’il manque une dimension historique que j’envisage
d’introduire, si le temps et les réformes le permettent.
Mon approche très mathématique semble laisser peu d’égard au travail conséquent
de mes collègues de physique et de SVT. Il n’en est rien évidemment. Je tiens à les
remercier de ce partage d’expérience qui a ouvert mon champ de connaissances et
m’a rapproché de leur discipline.
NB : l’ensemble de ces activités se décline en neuf fiches et quelques autres
documents, que je peux rendre disponibles à qui le veut. Les fiches sont disponibles,
en annexe de cet article, voir ci-dessous.
Références
Geogebra : www.geogebra.org/cms/
Eduscol, dossier cristallographie :
ANNEXES TELECHARGEABLES :
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