A propos de l’enseignement du calcul à l’école primaire I LA PLACE DU CALCUL

Suite aux décisions ministérielles sur ce sujet le bureau de l’APMEP a jugé utile de porter à la connaissance des lecteurs du BGV le texte de l’académie des sciences qui a été remis au ministre et quelques réactions.

AVIS SUR LA PLACE DU CALCUL DANS L’ENSEIGNEMENT PRIMAIRE adopté par le Comité secret du 9 janvier 2007

Par lettre du 14 décembre 2006, le Ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche a écrit au Président de l’Académie des sciences pour demander à celle-ci de lui fournir une analyse, afin qu’il puisse « transmettre des orientations en ce qui concerne l’enseignement des mathématiques à l’école primaire ». Le Ministre souligne qu’il est « capital d’asseoir le développement intellectuel de l’enfant sur des performances en calcul… », ce qui « …suppose des préconisations immédiates, qui ne sont pas exclusives de réflexions à plus long terme sur des sujets importants qu’implique une telle démarche, par exemple le rôle de la mémoire dans les apprentissages… ».

En réponse à la saisine du ministre, faite selon la Convention-cadre signée entre le ministère et l’Académie des sciences, le Bureau de l’Académie a formé un petit groupe de travail, constitué de S. Dehaene, J.-P. Demailly, J.-P. Kahane, P. Léna, Y. Meyer, J.-C. Yoccoz, afin de préparer le texte qui suit, soumis au Comité secret du mardi 9 janvier 200, et adopté à une quasi-unanimité. Le délai court n’autorise que des observations assez générales, sans entrer dans le détail du socle commun ou de sa déclinaison dans les programmes. Ces premières conclusions de l’Académie seront remises au ministre lors de la séance du 23 janvier.

Résumé

  1. L’amélioration souhaitable des performances en calcul à l’issue de l’école primaire requiert des mesures significatives mais prudentes, accompagnées d’analyses plus approfondies et d’expérimentations.
  2. Le calcul doit s’enseigner en étroit contact avec les autres matières : français, sciences de la nature, géographie, musique, sport, afin de se référer à des situations concrètes, indispensables compléments et supports du développement des capacités abstraites.
  3. Son apprentissage, s’appuyant sur une intuition arithmétique présente chez tous les jeunes enfants, suppose effort mais aussi jeu. La mise en place d’automatismes s’accompagne de représentations mentales nouvelles, elle implique réflexion et compréhension. L’automatisation ne peut qu’être le résultat ultime et naturel d’une pratique régulière et bien comprise du calcul.
  4. L’enseignement du calcul doit commencer par une pratique simultanée de la numération et des quatre opérations, une gradation en complexité se faisant entre maternelle et fin de primaire, jusqu’aux nombres décimaux et aux fractions.
  5. La capacité en calcul se développe selon plusieurs modalités, toutes pertinentes, nécessaires et complémentaires : calcul mental, calcul posé écrit, calcul approché, calcul instrumenté. Le premier, omniprésent dans la vie quotidienne, développe la mémoire ; le deuxième, riche de développements ultérieurs, est important pour la structuration des connaissances ; le troisième est essentiel dans les sciences de la nature et la manipulation des ordres de grandeur ; le quatrième doit trouver sa juste articulation avec les autres modalités. Toutes ces modalités de calcul doivent être maîtrisées par le citoyen.
  6. L’apprentissage du calcul ne saurait être développé indépendamment de celui de la géométrie. Les liens entre géométrie et calcul doivent être introduits très tôt, d’autant plus que tous ne sont pas immédiats pour l’enfant.
  7. L’importance de la proportionnalité dans plusieurs champs disciplinaires, et singulièrement les sciences de la nature, requiert une maîtrise solide de la règle de trois en fin de primaire, et donc d’une certaine manipulation des fractions.
  8. Tous les enfants peuvent calculer comme tous les enfants peuvent nager. C’est affaire de volonté, de travail et de plaisir. Les enfants aiment jouer, les jeux sont une source naturelle de calculs, parfois naïfs, parfois subtils, et le calcul lui-même peut devenir un jeu. Nous devons et pouvons avoir l’ambition que tous les enfants aiment le calcul.

Avis

L’Académie des sciences est fondée à intervenir sur cette question tant par les études menées par certains de ses membres et par leurs actions en faveur d’un enseignement scientifique de qualité à l’école primaire que par la place du calcul dans toutes les activités scientifiques. Sa réflexion se place dans le cadre dessiné par le Socle commun des connaissances (décret du 11 juillet 2006). Elle s’appuie sur un fait : à l’issue du collège et du lycée, chez filles et garçons, de nombreuses observations convergentes indiquent une insuffisante maîtrise du calcul, dont les fondements se mettent indiscutablement en place à l’école primaire.

L’analyse proposée par l’Académie des sciences s’organise ci-dessous en cinq points : le calcul est d’abord envisagé selon ses liens avec les autres matières enseignées à l’école, puis avec les sciences de la cognition. Il est ensuite examiné plus en détail selon ses différentes modalités (calcul mental, posé, approché, instrumenté), puis dans ses liens avec la géométrie, et enfin avec les jeux. En effet, si les performances en calcul – auxquelles la saisine fait référence – sont essentielles à l’enfant, leur développement doit être recherché en harmonie et équilibre avec celui de la géométrie, calcul et géométrie pouvant correspondre à différentes modalités d’intelligence chez l’enfant. En outre, bien que la saisine se centre sur l’école primaire, la préoccupation d’une continuité forte, à assurer entre école et collège, doit êtreprésente. Enfin, l’analyse proposée, focalisée sur le calcul et la géométrie, considère ces sujets du point de vue des performances attendues de tous les enfants, plus que sous l’angle d’une éducation mathématique, laquelle pourrait faire l’objet d’une analyse distincte. La complexité de la question posée, et sa déclinaison en programmes et instructions pour les inspecteurs (IEN) et maîtres, impose une grande prudence dans l’affirmation de recommandations et conclusions. Il ne serait en effet que trop aisé, dans de telles situations, de solliciter les experts au-delà de ce qu’ils sont en mesure d’affirmer ou de provoquer des incompréhensions profondes chez les maîtres. C’est pourquoi l’Académie, en formulant cet Avis, considérerait comme prudent de s’abstenir de préconisations impératives immédiates, et recommande que les observations ici présentées puissent être corroborées d’analyses plus approfondies, le cas échéant contradictoires, auxquelles elle est toute disposée à apporter son concours. Les changements préconisés devraient alors s’effectuer par paliers, et être accompagnés d’expérimentations sur le terrain, avec une attention toute particulière portée à la formation des maîtres.

1. Liens avec les autres matières

Le calcul a un lien étroit avec toutes les autres matières, et d’abord avec le français – ce n’est pas un hasard si compter et conter sont homonymes. Viennent ensuite les sciences d’observation et d’expérimentation (mesure, unités, incertitudes) ; l’histoire et la géographie – sources de données numériques à comparer et à traiter – ; plus généralement tout ce qui a trait aux grandeurs et aux mesures – jusqu’à la musique (rythme et mesure) et au sport (évaluation des performances).
Dans le passé, il a été recommandé à plusieurs reprises de disjoindre l’étude des nombres de celle des grandeurs. Ceci est un appauvrissement, et il est indispensable d’encourager la pratique systématique d’écritures telles que 2m+3m = 5m, et non seulement 2+3 = 5 ; ou encore 5€ × 3 = 15€, 5m × 3m² = 15m³, 8km : 5h = 1,6 km/h, .... La mesure des grandeurs, et d’abord celle des longueurs, surfaces ou volumes, conduit naturellement aux évaluations quantitatives : cela s’étend aux durées, aux températures, aux populations, et à tout ce qui concerne l’observation et l’expérimentation. L’utilisation de modes usuels de représentation des grandeurs, tels que tableaux, graphiques, échelles, peut être l’occasion de conforter les comparaisons d’ordre de grandeur et de préparer à l’usage ultérieur des coordonnées cartésiennes.

2. Fondements cognitifs de l’arithmétique

La recherche en psychologie cognitive et en neurosciences a montré qu’à l’exception d’une petite fraction d’enfants souffrant de dyscalculie d’origine génétique ou périnatale, tous les enfants possèdent très précocement une intuition arithmétique. Dès la première année de vie, cette intuition se présente comme la capacité à évaluer les quantités continues et discrètes, et notamment le nombre précis (en dessous de 3) ou approximatif (au-delà de 4) d’objets présents dans un ensemble. Dès cet âge, les enfants sont déjà capables d’opérations mentales élémentaires de comparaison (« Quel est le plus grand ? »), d’addition et de soustraction approximatives. Cette compréhension intuitive des quantités est l’un des ingrédients qui sous-tend l’acquisition ultérieure du langage des nombres, du comptage, et des algorithmes « spontanés » de l’arithmétique – fondés notamment sur le comptage sur les doigts. Elle se développe spontanément, y compris en l’absence de toute éducation. L’enfant arrive donc à l’école avec un bagage d’intuitions et de compétences qui ne doivent pas être négligées, encore moins combattues par les enseignants, car elles servent de fondement à la compréhension du sens des calculs arithmétiques.
Cependant, la recherche a également montré que d’autres aspects de l’arithmétique ne se développent pas spontanément et nécessitent un effort d’apprentissage. La notation décimale des nombres et les fractions sont pour l’enfant des objets initialement contre-intuitifs, qui nécessitent le développement de représentations mentales nouvelles. La liaison entre le nombre et l’espace, et plus généralement la mise en liaison rapide des différentes représentations des nombres et des quantités évoluent également au fil des apprentissages.
Enfin et surtout, l’apprentissage et l’exécution d’algorithmes de calcul exact demandent initialement un effort considérable d’attention et de mémorisation de la part de l’enfant, ce qui mobilise un très vaste réseau d’aires cérébrales pariétales et frontales. L’automatisation du calcul s’accompagne d’une diminution massive de l’activation du cortex préfrontal, correspondant à une libération des ressources mentales pour d’autres tâches.

3. Principes fondamentaux de l’enseignement du calcul

A la lumière des résultats ci-dessus, l’objectif de l’apprentissage du calcul doit être double : d’une part, donner à l’enfant un socle solide d’automatismes dans le domaine du calcul ; d’autre part, maintenir constamment ces calculs en liaison avec leur sens quantitatif et la résolution de problèmes concrets.

Le pire écueil à éviter est l’apprentissage de recettes calculatoires détachées de toute compréhension. La recherche cognitive montre en effet que le calcul arithmétique est souvent appris superficiellement, l’enfant se forgeant une image imparfaite ou franchement erronée de la recette à suivre sans en comprendre les fondements. L’objectif d’automatisation du calcul ne doit pas être mis en avant au détriment de la compréhension : l’automatisation ne peut qu’être le résultat ultime et naturel d’une pratique régulière et bien comprise du calcul. La priorité doit être à l’acquisition de routines solides et bien comprises de calcul, et d’un passage fluide de ce calcul formel à l’intuition des quantités ainsi manipulées.

L’enseignement du calcul doit commencer par la pratique simultanée de la numération et des opérations élémentaires. Le sens des opérations s’acquiert mieux lorsque celles-ci sont effectuées en même temps sur les « nombres concrets » (nombre de pommes, par exemple) et sur les « nombres abstrait » (nombre de fois). Cette approche permet de faire un lien immédiat avec les grandeurs du monde sensible et de faire sentir de manière quasi visuelle la nécessité qu’il y aura plus tard à introduire des nombres non entiers.

Le sens des différentes opérations ne peut se former convenablement que lorsque celles-ci sont introduites simultanément, puisque l’élève peut alors comparer et discerner leurs différents usages. Nul n’ignore que le problème du partage des bonbons se pose dès l’école maternelle et constitue un apprentissage de la division ! De la même manière, il ne faut pas dissocier l’apprentissage de la numération de celui des opérations, ne serait-ce que parce que l’écriture des nombres entiers implique déjà au moins l’addition et la multiplication, et que celle des nombres décimaux implique de même la division.

Ces considérations plaident pour une introduction aussi précoce que possible d’une certaine pratique des quatre opérations – des expérimentations scolaires récentes montrent que cela est possible dès la grande section de l’école maternelle pour les très petits nombres. L’un des objectifs de l’enseignement du calcul sera d’affermir progressivement les techniques de calcul en étendant peu à peu la taille et la complexité des nombres mis en jeu : passages des entiers aux décimaux et aux fractions, par exemple.

4. Diversité des formes de l’apprentissage du calcul

Il existe plusieurs approches de la capacité en calcul, toutes pertinentes, nécessaires et complémentaires. Sont abordées ici en plus grand détail l’articulation entre calcul mental, calcul posé et calcul instrumenté, et la relation entre calcul exact et calcul approché.

a/ Le calcul mental
Le calcul mental est l’occasion de faire fonctionner certains circuits mentaux spécifiques, en relation avec le développement de la mémoire. Il est en outre indispensable à la vie quotidienne du citoyen, en tant qu’un des outils fondamentaux de la pensée, source d’esprit critique et d’autonomie.
Il doit être nourri par une connaissance fluide des tables d’addition, soustraction et multiplication, de la parité, des puissances de dix, et s’exercer en permanence sur des questions simples, issues d’autres champs du savoir, car la mémoire et le fonctionnement de l’esprit ne sont actifs et efficaces que s’ils sont entretenus.

b/ Le calcul posé
Si le calcul mental est celui qui s’impose dès les premiers âges de l’enfant et tout au long de la vie adulte, le calcul posé par écrit est le plus riche de développements ultérieurs en mathématiques, sous des formes plus élaborées – par exemple, le calcul sur les polynômes au collège. Son importance vient aussi de ce qu’il s’appuie sur l’écrit, dont le rôle est fondamental dans la structuration et la fixation des connaissances.
L’objectif du calcul posé à l’école élémentaire doit être la maîtrise complète des algorithmes de calcul écrit à plusieurs chiffres, accompagnée de la compréhension de leur sens, pour les quatre opérations arithmétiques. Il est souhaitable d’introduire la notation en puissances de dix, notamment pour en user dans les sciences de la nature.
Des choix sont à faire, puisque les manières de poser une opération ne sont pas les mêmes dans les différents pays. Il paraîtrait prudent que les programmes fixent ces choix de manière conventionnelle, par exemple dans la pratique des retenues ou dans l’écriture des divisions, pour éviter la dispersion des notations. Il faut aussi que le vocabulaire précis soit exactement enseigné et que sa connaissance soit exigée : termes de l’addition, somme, différence, facteurs de la multiplication, multiplicande, multiplicateur, produit, dividende, diviseur, quotient, reste, retenue, décimale. Les unités fondamentales et leurs sous-unités sont à introduire à l’occasion des opérations sur les grandeurs.

c/ Le calcul approché
Tout au cours de la scolarité apparaîtra la distinction entre calcul exact et calcul approché. Le calcul exact commence par la pratique de la numérisation et des opérations élémentaires. Le calcul approché et celui des ordres de grandeurs le complètent. L’estimation des ordres de grandeurs est liée aux changements d’échelles, qui ont pris une place croissante dans toutes les disciplines. L’apprentissage des unités usuelles est l’occasion d’accéder à de très grands nombres, et aussi de faire apparaître la notion de dimension. Il est bon que le carré et le cube soient manipulés comme objets géométriques avant d’être introduits comme opérations sur les nombres. L’attention au vocabulaire est nécessaire à cette étape.
Dès que la notion de nombre décimal est acquise, de nombreux emplois de l’approximation se présentent. L’opération de division qui, comme il est bien connu, ne fournit pas en général un résultat exact, introduit à l’encadrement décimal par excès et par défaut. Ce dernier est largement utilisé dans les mesures, notamment celles faites en sciences de la nature ou en sport.
Le calcul approché permet des évaluations rapides et un calcul mental efficace. Il fait jouer avec les puissances de 10. Il permet de prévoir et de contrôler le résultat d’opérations posées sur papier ou confiées aux calculettes. Il familiarise avec la notion d’arrondi. Au cours des études ultérieures, la notion de calcul approché sera éclaircie par le recours à l’analyse et aux probabilités : il ne doit pas en être question à l’école élémentaire.
La recherche cognitive a montré que les jeunes enfants, avant tout apprentissage scolaire, possèdent des compétences pour l’approximation des quantités, des additions et des soustractions. Dès la grande maternelle, ils possèdent déjà une intuition des grandeurs, des tailles, des prix, et savent, par exemple, que 35+16 est nécessairement plus petit que 92. Cette compétence sert de base à l’apprentissage de certains aspects de l’arithmétique et est prédictive des scores mathématiques ultérieurs. L’apprentissage du calcul exact doit, dès le départ, s’appuyer sur cette compétence pour l’approximation. On peut, par exemple, demander à l’enfant de vérifier si l’ordre de grandeur du résultat est correct, s’il aurait pu trouver tel résultat sans faire le calcul, etc. Ces exercices d’aller et retour entre la manipulation formelle des nombres exacts et la réflexion intuitive et approximative sur leur sens sont essentiels pour l’objectif de compréhension du sens et de la pertinence des opérations.

d/ Le calcul instrumenté
Les calculettes font aujourd’hui partie du quotidien, elles ont leur place dans l’existence des enfants et certainement dans beaucoup d’activités en classe, particulièrement dans les sciences de la nature. Elles deviennent très utiles au collège dans ces mêmes sciences, qui fournissent des résultats de mesures sur lesquels des calculs élaborés sont à effectuer. À un plus jeune âge, elles peuvent solliciter l’imagination de l’enfant et l’inviter à explorer par le jeu les régularités de l’arithmétique. Néanmoins, leur usage ne saurait en aucun cas se substituer à l’apprentissage du calcul. Chez les jeunes enfants, il est plutôt recommandé de faire manipuler précocement des objets tels que cubes, bouliers, boîtes de masses marquées, qui développent utilement la compréhension des nombres et des calculs.

L’articulation entre calcul instrumenté, calcul posé et calcul mental est donc un sujet important, sur lequel la réflexion est engagée et doit se poursuivre.

5. Géométrie et calcul

Dans les mathématiques « savantes », il existe un lien profond, plusieurs fois millénaire, entre la géométrie et le calcul. L’idée que les nombres mesurent l’espace et que l’on peut remplacer une réflexion géométrique par un calcul sur les coordonnées continue de jouer un rôle essentiel dans de nombreuses branches des mathématiques. La recherche cognitive montre également des liens étroits entre les représentations du nombre et de l’espace, qui font appel en partie aux mêmes régions cérébrales. Ces liens doivent donc être introduits très tôt dans l’enseignement élémentaire, d’autant plus que tous ne sont pas immédiats pour l’enfant. La psychologie du développement montre ainsi que l’intuition d’une relation linéaire entre la quantité numérique et l’espace mesuré n’est pas présente chez l’enfant de huit ans, mais peut être apprise dès cet âge par des exercices de mesure et de mise en correspondance nombre espace sur une règle.

Le lien entre géométrie et calcul doit être recherché dans des activités de dessin. La réalisation de frises, de motifs géométriques (tissus, maillages,...), de croquis, de cartes de géographie peut – et donc doit – donner lieu à des procédures de comptage et de mesure, organisées de manière explicite dans les programmes. Certains aspects liés au dessin et au coloriage peuvent être abordés dès l’école maternelle. Les activités d’observation et d’expérimentation en sciences font simultanément appel à une vision géométrisée de l’espace (aires, ombres, modèles astronomiques par exemple) et à sa numérisation devenant objet de calcul (mesure d’une position). De tels allers et retours entre arithmétique et géométrie exercent la compréhension et contribuent à donner du sens à des algorithmes de calcul que l’enfant a trop souvent tendance à considérer comme des exercices formels dépourvus de sens.
La géométrie permet également de mettre en oeuvre de manière visuelle et riche des formes originales de raisonnement et de calcul. Ainsi, la mesure des longueurs est une des voies d’accès les plus naturelles à la notion de nombre décimal. Le calcul des aires de rectangles est lié de manière directe à la multiplication ; par ailleurs, la multiplication des nombres décimaux peut se comprendre dans le cadre de changements simultanés d’unités de longueurs et d’aires. L’obtention de la formule d’aire des parallélogrammes, triangles, trapèzes est une occasion privilégiée d’introduire de véritables raisonnements mathématiques non triviaux, reposant sur des découpages géométriques.

6. Le calcul et l’arithmétique

Après l’introduction des nombres entiers et des opérations sur eux, l’arithmétique des entiers considère les nombres premiers, puis la décomposition des entiers naturels en facteurs premiers, utilisés dans la recherche du plus petit commun dénominateur (PPCM), les opérations sur les fractions et leur réduction au même dénominateur, toutes connaissances qui doivent conforter l’apprentissage du calcul à la fin de l’école primaire.

Un point important, lié à la manipulation des fractions, est la notion de proportionnalité, omniprésente dans la vie quotidienne et dans les sciences expérimentales. Des raisons pédagogiques fortes indiquent que celle-ci doit être abordée via la traditionnelle règle de trois, qui permet d’introduire la proportionnalité en l’appuyant sur des situations et des problèmes concrets. Les questions de proportionnalité « directe » et « inverse », consistant à retrouver le dernier terme d’une proportion, sont une mine de problèmes pour la fin de l’enseignement primaire, et sont essentielles pour l’appréhension ultérieure de bien des domaines de la science et de la technique.

7. Jeux et mathématiques

Le grand public ne retient souvent des mathématiques que leur aspect prétendument rébarbatif. C’est là oublier que les jeux sont une source considérable de considérations mathématiques intéressantes – il existe de fait une branche savante des mathématiques connue sous le nom de théorie des jeux. Au niveau élémentaire, on pourra avec profit utiliser la structure géométrique des damiers, des pavages, de certains jeux de construction pour aborder des aspects de combinatoire élémentaire (dominos, parité...) et des questions liées au calcul de proportions.
La recherche en psychologie cognitive du développement a montré tout l’intérêt des jeux surles nombres dès l’école maternelle. Des jeux de dés et d’échange aussi simples que les « petits chevaux » ou la « bonne paie » constituent une première approche des nombres, de leur intérêt pratique, et particulièrement de la mise en correspondance entre les nombres et l’espace. Aux États-Unis, une étude a montré que l’utilisation de jeux de cette nature en grande maternelle, au sein d’un curriculum pédagogique bien réfléchi, permettait à des enfants de milieu défavorisé, dont les scores aux épreuves arithmétiques élémentaires étaient initialement faibles, de recouvrer un niveau élevé qui se maintenait dans les années suivantes. Ainsi l’introduction précoce de situations mathématiques par le biais du jeu peut contribuer à réduire certaines inégalités sociales. Par les interactions qu’il provoque, le jeu contribue à la socialisation des enfants.
Il faut également rappeler que c’est sans doute dès les très petites classes que se met en place le plaisir ou la défiance pour les mathématiques. L’utilisation précoce des jeux, dessins, constructions, problèmes et casse-tête d’inspiration mathématique sollicite l’intérêt des enfants et peut les motiver à l’effort ultérieur nécessaire à l’apprentissage en classe de mathématiques.

8. Conclusion

Cet Avis n’est pas entré dans le détail des mesures à prendre, ni des réformes à entreprendre. Il trace des pistes pour une réflexion qui doit se poursuivre, confrontant points de vue et expérimentations déjà faites ou à venir. Il veut se conclure sur une note résolument optimiste. Tous les enfants peuvent calculer comme tous les enfants peuvent nager. C’est affaire de volonté, de travail et de plaisir. Les enfants aiment jouer, les jeux sont une source naturelle de calculs, parfois naïfs, parfois subtils et le calcul lui-même peut devenir un jeu. Nous devons avoir l’ambition que tous les enfants aiment le calcul. Il y a beaucoup de raisons de penser que les élèves et les professeurs trouvent plaisir à travailler dans un cadre scolaire qui se conforme aux ambitions initiales des fondateurs de l’instruction publique – cadre repensé face aux évolutions et aux exigences de la société contemporaine.

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