Lettre à Ph. Joutard, chargé de mission sur le collège

Philippe Joutard, ancien recteur et président du groupe d’experts chargé d’élaborer les nouveaux programmes de l’école élémentaire, a été également chargé d’une mission sur le collège. C’est dans ce cadre que l’APMEP lui a envoyé, en décembre 2000, la lettre ci-dessous.

Monsieur Joutard aurait rendu un rapport dont la teneur n’a pas été rendue publique. Le ministre reste silencieux alors que, sur le terrain, les mesures « Collège 2000 » sont mises en place. Le passage aux horaires-planchers s’étend progressiveent. les principaux de collège exercent des pressions pour que soient mis en oeuvre parcours diversifiés et travaux croisés (à moyens constants, rappelons-le).

La stratégie « pas de vagues » vise-t-elle à nous faire accepter l’inacceptable ?


Monsieur le Chargé de mission pour le collège,

Dans le cadre de la mission dont vous avez la charge, nous pensons que l’APMEP, s’appuyant sur son travail et les engagements de ses adhérents, peut apporter une contribution significative.

L’APMEP défend depuis toujours une certaine façon d’enseigner les mathématiques qui n’en fasse pas une discipline réservée à une élite. Nos publications, les activités des régionales témoignent de l’investissement des adhérents, qui s’exprime au-delà de leur service d’enseignement, dans la mise en place d’ateliers et clubs mathématiques, l’organisation de compétitions mathématiques, d’expositions, de débats...

L’APMEP s’est depuis longtemps engagée dans un travail de réflexion sur le travail de l’élève.

Elle a été à l’origine de la création des IREM sur qui s’appuie depuis trente ans la formation des enseignants de mathématiques. Depuis longtemps, elle préconise la construction du sens plutôt que l’apprentissage d’algorithmes trop rapidement oubliés. Nous aimerions que soient clairement définis les objectifs de l’école et du collège, c’est à dire ceux de l’école obligatoire et laïque pour tous. Nous voudrions que soit clairement établie la volonté d’éduquer des citoyens et non pas de façonner des consommateurs dociles.

Dans un monde submergé d’informations multiples et contradictoires, où dominent les rapports de force, il est essentiel que chacun soit initié à la démarche scientifique, et les mathématiques fournissent pour cela des outils irremplaçables. La naissance de la démonstration mathématique est historiquement liée à celle de la démocratie. C’est d’abord à l’émergence d’un rapport critique à la vérité que nous travaillons dans nos classes.

L’étude des mathématiques permet de développer des capacités d’argumentation, d’imagination et de sens critique dans un cadre apuré sans que les différences d’acquis culturels ne leur fassent obstacles. Elle permet de mettre en évidence des techniques de calcul et de représentation utilisées dans diverses disciplines et de les étudier pour elles-mêmes.

Horaires et temps d’apprentissage

Depuis longtemps, l’enseignement des mathématiques au collège ne se fait plus sur le mode cours magistral et séances d’exercices. Il s’appuie sur l’activité des élèves, les travaux de groupes, les débats entre élèves. Moyennant cela, les mathématiques restent souvent, au collège, une matière appréciée par les élèves, y compris par des élèves que leurs faibles compétences langagières font qualifier de peu scolaires.

Mais ce type de pratique, que nous soutenons, demande du temps, d’autant plus de temps qu’il faut prendre en compte l’hétérogénéité des classes, hétérogénéité qui n’a fait que croître au fil des ans de la sixième à la troisième.

Nous demandons que chaque élève de collège puisse bénéficier de quatre heures hebdomadaires de mathématiques, dont une heure en effectif réduit.

L’horaire hebdomadaire de mathématiques est actuellement en diminution dans beaucoup de collèges et nous estimons que cela est préjudiciable à tous les élèves, et pénalise tout particulièrement les élèves dont le rythme d’apprentissage est lent. Quatre heures par semaine permettent d’avoir un travail suivi, un travail de mémoire indispensable pour étayer un travail de réflexion. La possibilité de diviser la classe en deux groupes permettrait à certains élèves de surmonter des difficultés passagères et à d’autres d’aller un peu plus loin.

Du seul point de vue pédagogique, le souci de ne pas alourdir l’horaire-élève est hors de propos en collège. Beaucoup d’élèves ne travaillent qu’encadrés. Souvent, s’il n’y a pas un relais parental, l’essentiel du travail est fourni au collège. Si certains horaires sont effectivement très lourds, cela résulte d’un choix d’options, par exemple anglais renforcé et latin en quatrième, qui ne concerne qu’une minorité de bons élèves. Les dernières instructions préconisent 23 heures seulement de présence au collège pour un élève de sixième, cela nous semble insuffisant pour lui donner une « culture de l’étude ». De plus en plus d’élèves ne savent pas étudier, ne savent pas travailler, où peuvent-ils l’apprendre ?

Le développement de l’aide individuelle, d’études, dirigées ou encadrées, est nécessaire, particulièrement dans les zones défavorisées, mais ne doit pas se faire en rognant sur les heures de travail collectif, faute de quoi on crée chaque année des difficultés auxquelles il est de plus en plus difficile de remédier les années suivantes.

Nous demandons que soient clairement distingués les moyens d’enseignement et les moyens destinés à l’encadrement du travail personnel des élèves. Les premiers doivent être également distribués, les derniers doivent être modulés suivant les besoins des élèves et des établissements.

Nous mettons en doute l’efficacité des diverses mesures récentes destinées à réduire les difficultés des élèves. Du fait de leur application à moyens constants, certains enseignants ne disposent pour leurs élèves que de l’horaire minimal, alors que dans le même temps ils sont obligés d’accepter des heures supplémentaires. Nous regrettons d’autant plus ces heures supplémentaires que ces enseignants peuvent se voir alors contraints d’abandonner leur club de mathématiques ou tout autre investissement périscolaire. Nous dénonçons le système des fourchettes horaires, que nous jugeons davantage au service d’une bonne gestion comptable que des besoins pédagogiques.

Par ailleurs, nous relevons une contradiction flagrante entre le désir d’inscrire l’élève au cœur du système et une orientation plus dépendante de la gestion des flux que des avis de l’équipe éducative.

En effet, de plus en plus souvent, les collèges voient leurs taux de redoublement limités, voire imposés par, semble-t-il, des indicateurs statistiques. Nous reconnaissons volontiers qu’un redoublement n’est pas toujours la meilleure solution, mais parfois, pour certains, il offre réellement une deuxième chance.

Le traitement des élèves en grande difficulté

Si l’on veut un collège ouvert à tous, il est urgent et nécessaire que soit vraiment pris en compte le problème des élèves en grande difficulté ou en refus scolaire.

Un certain nombre d’élèves sont pratiquement abandonnés dans le système actuel. Ce sont ces élèves que l’on fait passer dans la classe suivante, sans même leur proposer un redoublement dont on estime qu’il serait sans intérêt, ce qui est probablement vrai. C’est un passage « par défaut », faute d’alternative au redoublement. On déclare un peu rapidement ces élèves « rétifs au système scolaire ». Ils vont faire de la figuration, parfois bruyante, jusqu’à la fin de leur scolarité obligatoire.

Outre la multiplication des classes difficiles, cela introduit un « brouillage » sur la notion même d’apprentissage, sur la fonction du collège. Les adolescents, pour qui les repères sont un élément essentiel d’équilibre, se retrouvent dans un milieu où ils ne peuvent clairement décoder les messages qui leur sont donnés : suivant les cas, passer dans la classe supérieure est, ou n’est pas, synonyme de réussite ; travailler n’est plus toujours nécessaire pour passer dans la classe supérieure. Cet état de fait est préjudiciable pour le plus grand nombre des élèves du collège.

Nous estimons que la marge d’échec actuellement tolérée est trop grande. Cet échec, cet abandon de quelques uns, pèsent sur tout le système et pas seulement sur cette minorité qui en est la première victime.

Le plus souvent, les jeux sont faits dès l’entrée en sixième. Quand il n’y a pas un socle minimal de connaissances, les lacunes sont trop importantes pour être compensées en quelques heures de remise à niveau. D’année en année les problèmes s’aggravent.

Pour les élèves en grande difficulté, il faut que les établissements puissent mettre en place, lorsque c’est nécessaire, des structures adaptées, dotées d’un statut clair et de moyens suffisants.

Ces structures doivent être le fruit d’un projet pédagogique, et les enseignants qui s’y investissent doivent être soutenus : des temps de concertation et de formation doivent être inclus dans leurs services.

L’un des objectifs peut être simplement de faire progresser les élèves concernés afin de leurs permettre de suivre ultérieurement une formation qualifiante. La mesure de l’efficacité du projet ne doit pas conduire à une comparaison avec des élèves sans difficultés, mais doit permettre de mesurer si ses objectifs propres ont été atteints.

Relations avec les autres disciplines

Les mesures visant à des pratiques interdisciplinaires, parcours diversifiés et travaux croisés, mettent les enseignants dans la confusion. Les formes prescrites permettent la mise en place d’activités d’ouverture culturelle, différentes pour les élèves d’une même classe, alors que l’objectif annoncé est l’acquisition par tous de connaissances communes. De diverses enquêtes effectuées par l’APMEP, il ressort que les enseignants qui ont tenté les parcours diversifiés, se prononcent en faveur de projets attachés à une classe entière, ce qui peut créer une dynamique et alimenter la « mémoire » de la classe. Il semble que l’institution ait eu un jugement exactement inverse...

La systématisation des travaux croisés nous semblerait une grave erreur, d’autant que, là encore, les principes de bonne gestion administrative risquent de l’emporter sur les considérations pédagogiques.

Une innovation ne peut avoir de sens et d’efficacité que dans la mesure où elle est conduite par une équipe d’enseignants motivés.. Nous pensons qu’il faut promouvoir un état d’esprit innovant plutôt qu’imposer à tous telle ou telle pratique qui a réussi dans un contexte particulier. La grande diversité des situations nécessite de laisser aux enseignants une marge de manœuvre importante sur les formes et les méthodes d’enseignement.

Nous ne pensons pas que les difficultés actuelles soient liées au contenu des programmes. En revanche, une ré-écriture des programmes mettant en évidence les grandes lignes directrices, les points essentiels pour chaque discipline aiderait les enseignants à se donner des objectifs communs.

Notre association est sensible au désarroi de ses adhérents face à des mesures dont les objectifs annoncés ne coïncident que rarement avec les effets sur le terrain. Nous demandons qu’une grande attention soit portée à la cohérence entre les objectifs, les dispositifs et les conditions de mise en œuvre.

Nous sommes prêts à vous rencontrer pour développer nos arguments.

Nous vous prions de recevoir, Monsieur le Chargé de mission pour le collège, l’expression de notre respectueuse considération.

R. Belloeil

Les Journées Nationales
L’APMEP

Brochures & Revues
Ressources

Actualités et Informations
Base de ressources bibliographiques

 

Les Régionales de l’APMEP