Lettre au ministre Consultation des programmes de l’école primaire

Pombourcq Pascale, Présidente de l’APMEP
à
Monsieur Xavier Darcos, Ministre de l’Education Nationale

Le 8 avril 2008

Monsieur le Ministre,

Mark Sherringham, dans un courrier daté du 20 mars, a souhaité que nous vous fassions part de « propositions précises d’amélioration ou de modification » des textes de programme de l’école primaire soumis à consultation.
Vous permettrez d’abord deux remarques sur le calendrier et sur la forme de la consultation. Le Président de la République a été élu pour cinq ans. L’Assemblée Nationale est également en place pour cinq ans. Vous disposez donc de tout le temps nécessaire pour une réflexion de fond sur les réformes à mener. Les derniers programmes de l’école primaire ont moins d’un an. Pourquoi tant de précipitation ? Pourquoi une telle opacité ? Nous nous trouvons sans interlocuteur pour discuter des questions techniques qu’ils soulèvent, et nous manquons de temps pour une réflexion approfondie. Ce n’est pas parce qu’ils sont courts que des textes d’une telle importance doivent être bâclés. Les professeurs des écoles ont disposé d’à peine un mois pour se concerter, et vous avez prévu une mise en place dès la rentrée 2008. Certains manuels commencent déjà à être diffusés. Ne s’agirait-il pas d’une consultation alibi, et peut-on croire que les textes seront amendés ?
Nous dénonçons également la forme prise par la consultation, et en particulier la réduction caricaturale des questions posées.
Nous venons par ailleurs d’apprendre que le Doyen de l’Inspection Générale de mathématiques avait reçu la commande d’écrire de nouveaux programmes pour le collège. Ecrits en quelques semaines, seront-ils eux aussi imposés à la va vite alors que la mise en place des précédents n’est pas terminée ?

Mais revenons au projet de programmes de l’école primaire.

1. La grille horaire
Le temps dévolu aux mathématiques diminue, puisque l’horaire minimum de la fourchette est imposé partout. Simultanément les contenus purement disciplinaires augmentent. Glissent du collège vers l’école primaire, les multiplications et divisions des nombres décimaux, l’étude du cylindre, des prismes droits, du cône, de la pyramide, la formule de la longueur du cercle, du volume du pavé droit, de l’aire d’un triangle. Nous écrivons depuis des années que des horaires en rapport avec les objectifs des programmes sont un préalable décisif à un enseignement de qualité.

2. L’écriture
Vous avez souhaité un texte de programme court, lisible par tous, et en particulier par les parents. C’est un choix politique et nous nous inclinons. Mais un texte aussi bref s’il peut convenir pour informer le grand public ne peut répondre aux besoins des professionnels. Pourquoi ne pas juxtaposer deux textes, l’un court, l’autre détaillé qui répondraient ainsi aux exigences de chacun ? Le professionnalisme des professeurs des écoles paraît nié par une écriture d’une si grande pauvreté et leur est peu utile.
Nous regrettons également que soit gommé tout le travail d’écriture réalisé autour du socle commun dans les programmes de 2007. Seule une phrase du préambule y fait rapidement allusion, et le projet de socle commun, pourtant affirmé par la loi ne semble plus constituer une priorité pour les auteurs de ces programmes.

3. Le préambule
Nous ne pouvons qu’approuver les intentions déclinées dans le préambule : « L’école primaire doit avoir des exigences élevées qui mettent en œuvre à la fois mémoire et faculté d’invention, raisonnement et imagination, attention et apprentissage de l’autonomie, respect des règles et esprit d’initiative ». Mais elles sont rapidement mises en contradiction. « Les automatismes en calcul s’acquièrent aussi tôt que possible, en particulier la première maîtrise des opérations qui est nécessaire pour la résolution de problèmes ». Que devient la liberté pédagogique prônée dans le préambule ?
Vous avez souhaité passer « des problèmes vers les connaissances » aux « connaissances vers les problèmes », mais ces deux attitudes sont tout aussi caricaturales l’une que l’autre.

Les contenus

Au cycle 2
Les compétences « calculer : addition, soustraction, multiplication ; diviser par 2 et par 5 » sont trop précoces. L’introduction trop tôt (par rapport aux programmes de 2002 et 2007) des techniques opératoires des quatre opérations risque de mettre en difficulté davantage d’élèves. En l’espace de deux ans, les enfants auront à assimiler la numération ainsi que toutes les opérations. Quel sera l’intérêt d’avoir formé des enfants qui maîtrisent les techniques opératoires, mais qui sont incapables de les utiliser parce que l’apprentissage technique intensif a occupé tout l’horaire imparti ? Il est en outre établi que la précocité de l’apprentissage du calcul posé est un obstacle au calcul mental dont vous soulignez pourtant l’importance.
Le programme mentionne « grandeurs et mesures », mais dans le paragraphe, il n’est question que de formules et d’unités. Le travail sur le sens de chaque grandeur disparaît, alors que nous savons que le calcul dans ce domaine ne suffit pas à établir les concepts.

Au cycle 3
Nous avons déjà dénoncé les nombreux glissements du collège vers le cycle 3. Nous demandons une vision d’ensemble des programmes sur la scolarité obligatoire, et de cesser de saucissonner les programmes entre école et collège.
Pourquoi la résolution de problèmes serait-elle nécessairement liée à des problèmes soit concrets, soit de la vie courante ? Et quelle réalité recouvre d’ailleurs ce terme ? Les élèves de cet âge sont par exemple passionnés par les petits problèmes de dénombrement.
Seriez-vous nostalgique de la règle de trois ? Pourquoi imposer pour aborder la proportionnalité en CM1 la « règle de trois » alors que les procédures s’appuyant sur les propriétés de linéarité ou sur le retour à l’unité sont beaucoup plus accessibles ?

L’APMEP demande donc le retrait du projet de programme de l’école primaire soumis à consultation.

Vous avez invoqué les mauvais résultats de la France aux évaluations PISA pour justifier l’écriture de ces nouveaux programmes. Les précédents datent de 2002, voire 2007 si l’on tient compte de leur réécriture pour mettre en évidence le socle commun de connaissances et de compétences. Les élèves qui ont suivi intégralement le programme de 2002 sont cette année en sixième. Bien au contraire, il semblerait que l’effet des programmes 2002 commence à se faire sentir et qu’un redressement dans les compétences en calcul soit à mettre à leur compte.
Nous demandons depuis de nombreuses années la création de groupes de suivi des programmes. Ces groupes auraient pour mission d’évaluer sur le terrain les programmes de chaque classe, de rendre publiques leurs conclusions, de faire des propositions visant à l’amélioration de notre enseignement. Cette méthode de travail éviterait le lobbying effectué par certains groupes de pression et permettraient aux enseignants de travailler sereinement sans subir les secousses politiques qui le déstabilisent périodiquement.
Des programmes aussi concis que ceux que vous proposez génèrent certainement des inégalités, car leur interprétation peut être très diverse sur le fond comme sur la forme. Ce sera d’autant plus vrai en mathématique que trois quarts des professeurs des écoles n’ont pas de formation initiale scientifique. Les documents d’accompagnement des programmes jouent alors un rôle de formation essentiel. Leur abandon serait un retour en arrière grave.

L’enseignement primaire a en effet des difficultés, mais nous ne pensons pas que ces difficultés soient dues à la mauvaise qualité des programmes en vigueur. Ils ont au contraire été le fruit d’un travail approfondi dont le mérite a été unanimement reconnu. Au lieu de remettre en cause ces textes sans aucune évaluation, il nous semble plus urgent d’améliorer la formation initiale et continue des professeurs des écoles. Alors qu’en 1990, 135 heures étaient dévolues aux mathématiques dans la formation initiale des professeurs des écoles, elle est réduite aujourd’hui dans certains IUFM à seulement 45 heures. Quant à la formation continue, elle est sinistrée à tous les niveaux.

Nous espérons avoir répondu ainsi à votre demande et nous restons à votre disposition pour tout complément que vous jugerez utile.

Je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments respectueux et dévoués à une formation mathématique de qualité.

Pascale Pombourcq

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